Mexique : Blog del narco
Dans certains endroits de la planète, les armes ont remplacé la parole. Ce n’est pas une question de linguistique, mais d’intérêts tout court. Si dans les pays du Nord les canards à sensations rapportent les faits de manière à faire une surenchère du morbide pour des buts commerciaux évidents, ici, c’est tout autre chose… Il s’agit du quotidien d’un pays livré à la noirceur humaine. Âmes sensibles s’abstenir.
Dans nos représentations, on se figure souvent que les cartels n’agissent qu’en Colombie. Pourtant, aux dires des autorités colombiennes, la violence serait en période de régression : de 29 000 personnes assassinées en 2002, on passe à un peu plus de 16 000 en 2008. Malgré cette baisse, les agences de voyage ne considèrent pas encore la Colombie tout-à-fait comme un lieu touristique normal (on va dire qu’il y aurait certaines zones à éviter, telles que les petites routes). En revanche, la violence au Mexique a littéralement explosé, avec un chiffre de 120 000 homicides en six ans, soit une population supérieure à celle de Perpignan. Le Mexique détient aussi le nombre record d’enlèvements au niveau mondial, avec 18 séquestrations par jour. À nos Femen, on ne saurait que trop conseiller d’aller manifester à Ciudad Juarez, où de 1993 à 2008 exactement 1653 femmes ont été littéralement massacrées à coup de rituels incluant mutilations, violences sexuelles, et autres tortures sadiques (selon certaines ONG, le bilan oublie deux mille autres disparues).
Sur un plan constitutionnel, le Mexique est un état fédéral constitué de 31 entités autonomes, donc “indépendantes” les unes des autres. Tant que les lois fédérales ne violent pas la constitution en vigueur, elles peuvent être appliquées. Le problème vient d’ailleurs. Depuis sa fondation, les intérêts américains n’ont pas cessé de l’entraver. Dernièrement, c’est le géant Wallmart qui est accusé d’avoir corrompu les hautes autorités du pays. De tout temps, des compagnies américaines ont cherché à avoir la main mise sur ce pays frontalier qui regorge de cuivre, de gaz naturel, d’or… et de pétrole. Mieux encore, la CIA est soupçonné d’avoir aidé les cartels mexicains, en les mettant en relation avec leurs homologues colombiens et avec les CONTRAS Nicaraguayens, car tout était bon pour endiguer la menace communiste. Et rien de mieux pour saboter toute tentative d’accès à la souveraineté.
C’est l’histoire d’une blogueuse qui risque sa vie. Elle serait journaliste. D’après ses dires, deux de ses plus proches collaborateurs ont été assassinés dans d’atroces conditions, sous-entendu éventrés et suspendus à un pont, et elle vit constamment dans l’angoisse des représailles. Son crime ? Relater simplement des faits sordides qui empoisonnent le quotidien des mexicains, quitte à braver la loi du silence. Pendant qu’on nous parlait de Florence Cassez, des journalistes mexicains se faisaient trucider pour avoir seulement essayé de gratter un morceau de la vérité qui dérange (à ce titre on pourrait y envoyer plusieurs des nôtres au vu de leur passivité devant le pouvoir). Ils – la journaliste et son principal collaborateur – travaillent en anonyme, sont obligés de déménager tous les mois, et se demandent sans arrêt s’il faut ou pas arrêter le blog tant la pression est forte (aussi bien de la part des criminels que de l’état censé les combattre). Elle vient de publier un livre : “Undercover, inside the mexican drug war”.
« Peu de temps avant que ce livre ne soit fini, deux personnes (un jeune homme et une jeune femme qui travaillaient avec nous) ont été dépecées et pendues à un pont de l’État de Tamaulipas, dans le nord du Mexique. Des grands draps portant des messages manuscrits (les narcomantas, littéralement « draps de narcos ») se trouvaient à côté de leurs corps et mentionnaient notre blog en déclarant que c’était là ce qui attendait les balances et les mouchards d’Internet. Le message se terminait en disant que nous serions les suivants. Quelques jours plus tard, une autre journaliste de Tamaulipas était exécutée. Elle aussi nous envoyait régulièrement des informations. Les meurtriers avaient laissé des claviers, une souris et d’autres parties d’ordinateur éparpillées sur le cadavre, en plus d’un nouveau message qui faisait, encore une fois, référence à notre blog. Malgré tout cela, nous avons refusé de nous laisser intimider. Nous n’arrêtons pas parce que nous voulons un Mexique meilleur. »
Durant son mandat le président conservateur Felipe Calderon a décidé de lancer une guerre sans merci aux Cartels. Il faut rappeler que la présidence de son prédécesseur, Vincente Fox, n’avait guère était brillante. Mexico, la capitale, est la plaque tournante du pays. A peine élu Calderon a lancé, fin 2006, une troupe fédérale de 6 500 individus pour investir l’état de Michoàcan, ceci pour montrer qu’il respecte les promesses de sa campagne et qu’il tient à mettre fin aux rivalités opposant plusieurs cartels. Avec l’aval du gouverneur, l’opération a permis d’arrêter un chef de cartel et plus d’une trentaine d’élus corrompus, mais n’évitera pas le carnage : environ 150 morts côté force de l’ordre, et un demi-milliers d’individus rattachés aux cartels. Un peu plus de cinquante plaintes pour violation des droits-de-l’homme suivront. D’autres opérations furent également organisées, comme Escalation qui, elle, concerne les allégations de corruption au sein des forces de l’ordre. Calderon a créé un climat de guerre civile. Les mexicains ont alors connu plusieurs renforcements de présence militaire dans les espaces publics. Plus grave encore, quasiment couverts par leurs juridictions, certains éléments des forces de l’ordre vont se livrer à de véritables numéros d’abus de pouvoirs, voire d’exactions : arrestations arbitraires, détentions prolongées, fabrications de preuves, tortures, passages à tabac, viols, et exécutions extrajudiciaires.
L’auteure prend quatre heures par jour, au moins, afin de relater des faits relatifs à cette guerre qui prit fin en 2011, ou qui se produisent encore et encore. L’effet positif est que le blog fait partie des plus visités (articles, vidéos, faits rapportés, et photos on ne peut plus gores). Les critiques objectent le côté macabre de l’entreprise, mais il est devenu une référence incontournable pour quiconque s’intéresserait à la réalité mexicaine. Grâce à certaines de ses informations, dont des vidéos, il a pu permettre de procéder à certaines arrestations. Mourir pour la vérité est un très bel adage en fin de compte.
Florian
Source:
1. http://ipsnouvelles.be/news.php?idnews=10188
3. http://www.monde-diplomatique.fr/2003/08/GONZALEZ_RODRIGUEZ/10315
4. http://mexique.americas-fr.com/geographie.html
6. http://www.vice.com/fr/read/mourir-pour-la-verite-blog-del-narco
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