France 2025
Il y a un mois environ, Frédéric Drago nous livrait une contre analyse pertinente d’un JT de France 2.
Cette fois, il a jeté son dévolu sur le contenu de notre fameuse “France 2025”, sorte de condensé foutraque pondu par nos énarques pour occuper une hypothétique case “espoir” dans notre part de cerveau disponible.
François Hollande a donc demandé à ses ministres (ou plutôt ses ministères car il est peu probable que les ministres aient personnellement rédigé ces rapports) de proposer leur vision du futur et plus particulièrement de la France en 2025. Une occasion intéressante de voir que derrière l’optimisme de façade se cache en réalité un flou grossier et un manque d’imagination inquiétant pour la France de demain.
Ministère par ministère, voici donc comment nos élites ont pensé pour nous les années à venir :
Ministère de l’intérieur
La première copie livrée fut celle du ministère de l’intérieur. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça ne commence pas particulièrement bien.
« Le ministère de l’intérieur est le ministère de l’État, de sa continuité, de son efficacité, de son adaptation permanente aux exigences de son temps et aux attentes de la population ».
Une telle sentence (assez pompeuse) pourrait paraître pertinente, savante et donnerait presque au lecteur l’impression que derrière ces mots se trouvent de nombreuses références historiques, culturelles ou institutionnelles. Pourtant, si nous y regardons de plus près, cette phrase ne renvoie à rien et n’est qu’un ensemble de termes préfabriqués (mots clés ou éléments de langages associés) assemblés les uns aux autres afin de donner l’illusion d’un discours consistant.
A quelle « continuité » avons-nous affaire ici ? Qu’est-ce que « l’efficacité » à laquelle il est fait référence ? Rien dans cette affirmation ne vient appuyer l’idée que l’État pourrait être efficace. On nous indique qu’il l’est, et tant pis pour ceux qui ne veulent pas y croire. Nous n’avons pas plus de détails quant aux « exigences » de notre époque ou aux « attentes de la population ». Si nous devions indiquer à quoi fait référence cette phrase, à quels faits, à quelles réussites du gouvernement, il semblerait qu’assez peu de personnes puissent être en mesure de répondre. En fait, ce début de copie est un excellent exemple de langue de bois.
Après cette petite introduction vide de sens, nous pouvons prendre connaissance de l’objectif du ministère de l’intérieur pour 2025 :
« consolider, dans un monde de plus en plus globalisé, les prérogatives de la puissance publique ».
Rien de plus évident ! En réalité, ceci ne renvoie encore une fois à rien. Hormis indiquer que nous vivons à l’ère de la mondialisation et que le gouvernement souhaite continuer… son rôle de gouvernement, aucun point d’horizon n’est clairement défini.
Le ministère de l’intérieur va pourtant tenter d’être un peu plus audacieux et en appelle aux « forces de l’ordre 3.0 ». Sans même savoir ce que sont les forces de l’ordre 2.0, nous avons le droit à la prochaine génération des gardiens de la paix. A la limite, la seule référence connue serait la Stasi 2.0 de l’impayable Wolfgang Schaubler, celui-là même qui nous propose d’imposer nos comptes bancaires à 8% pour sauver les banques Européennes. Pas de quoi franchement nous rassurer.
Ici, l”accent est mis sur la technologie tout en privilégiant une proximité avec la population. Ne rêvons pas, on ignore encore une fois ce à quoi fait référence le ministère lorsqu’il parle des « avancées technologiques ». Des radars plus performants pour augmenter les contrôles de vitesse ? Il est fait mention de la vidéo, doit-on s’attendre à l’augmentation de la vidéosurveillance en HD avec reconnaissance faciale et comportementale ? Aux puces RFID, qui sait ?
Ce chapitre sur la modernisation de la police peut se résumer simplement : des forces de l’ordre pouvant avoir des moyens de répression et de contrôle accrus grâce à la technologie tout en essayant de garder une image de proximité avec la population grâce à des campagnes de communication efficaces. Mais rien sur l’éducation, la culture, l’action permettant de tirer vers le haut les zones de France les plus défavorisées ? Avant de penser à avoir une « super-police », ne serait il pas mieux de s’interroger d’abord sur les causes profondes des problèmes actuels ? Comment s’attaquer à ces causes ? On a beau nous ressasser la prévention (toujours privilégiée à la répression dans les beaux discours), le fait est que la police n’est là que pour agir sur les conséquences : répression, contrôle, surveillance. Les forces de l’ordre ont toujours eu pour seul et unique but de maintenir le système en place. Leur rôle n’a jamais été d’améliorer un système ou d’éduquer aux lois. Améliorer les moyens de la police en pensant trouver « des réponses aux problèmes rencontrés localement » est d’une stupidité affligeante.
Le ministère de l’intérieur nous peint ensuite un « État modernisé dans les territoires ». Encore une fois, on nous annonce un résultat sans jamais nous parler du comment. Serait-on surpris de voir que, hormis nous annoncer que les services publics disponibles devront être plus rapides, plus fiables, plus « cohérents et mutualisés », rien n’est dit sur la manière d’atteindre cet objectif ? Personne ne peut être contre un service public plus rapide et sécurisé… Mention est faite de la dématérialisation de l’administration. Il est alors nécessaire de se demander pourquoi attendre 2025 pour franchir le pas de la gestion en ligne de certaines déclarations alors que nous pourrions le faire dès aujourd’hui.
Le reste du document comporte deux points notables. Le premier est ce petit paragraphe réservé à l’islam. Le ministère de l’intérieur appelle à un « islam de France » respectant le principe de laïcité tout en luttant « contre les extrémistes religieux et les fondamentalistes ». À croire que seuls les musulmans sont susceptibles de tomber dans le fanatisme religieux voire de tendre vers le terrorisme.
Le second point notable est finalement le seul élément appréciable de cette copie : la réaffirmation d’une France comme terre d’accueil des étrangers. Il est surtout question du suivi de ces étrangers pour leur permettre une meilleure intégration grâce à l’accès à l’éducation, à la culture et surtout à l’apprentissage du français. Malheureusement, cette politique sur le papier est encore loin de la réalité et 12 ans pour y parvenir ne seront pas de trop.
Ministère de la justice
La copie du ministère de la justice se résume à un optimisme excessif. En somme, il s’agit d’avoir une justice plus personnalisée selon les dossiers, plus de temps pour les traiter (donc plus de moyens mis à disposition de ce milieu), des prisons qui ne sont plus surpeuplées ni insalubres, un meilleur suivi des détenus pour les réintégrer plus efficacement dans la société à leur sortie de prison, davantage de personnels pour améliorer l’ensemble du dispositif judiciaire, etc.
Globalement, ce que présente le ministère de la justice est tout à fait pertinent mais encore une fois, la question de comment mettre en place ces évolutions est entièrement occultée. Rien n’est dit sur la manière de procéder, sur les moyens nécessaires pour arriver à un tel résultat. En somme, il nous est vendu ici pour la énième fois une justice un peu Bisounours…
Ministère de l’économie
Ce qu’a produit le ministère de l’économie est sans doute le plus déplorable de tous les résultats. Ce ministère semble être bloqué dans la logique économique du XXe siècle, toujours enfermé dans le dogme de la croissance, de l’emploi et de la satisfaction des marchés.
Pour lui, la technologie n’est pas un moyen de libérer l’homme du travail ou de faire évoluer la société, elle est au contraire l’occasion de trouver de nouveaux emplois, de créer toujours plus de richesses (ça ne serait pas plutôt “valeurs” que “richesses” ?) pour au final redonner un nouveau souffle à un système économique désormais obsolète. Et lorsque nous lisons avec effroi que l’un des objectifs est de « retrouver le plein emploi » alors nous ne pouvons qu’espérer que ce ministère soit remplacé le plus rapidement possible. Sans rougir, il se permet même de renchérir en indiquant que « le plein emploi, aujourd’hui inimaginable, est un objectif réaliste ». Comment peut-on croire une seule seconde que le plein emploi reviendra alors qu’en 2025 la technologie permettra d’automatiser toujours plus de postes tout en ayant une démographie croissante ? Sans honte, l’Allemagne est présentée comme un modèle de plein emploi. Si eux le peuvent, pourquoi pas nous ? Mais faut-il rappeler les conditions de travail en Allemagne et la réalité qui se cache derrière les chiffres flatteurs de l’emploi ?
Qui dit économie dit forcément dette. Sachez donc qu’en 2025, la dette de la France aura baissé et qu’elle sera « revenue à un niveau proche du seuil fixé à Maastricht ». Comment tout cela est possible alors même que la dette de la France ne cesse d’augmenter ? Nul ne le sait et surtout pas nos élus. D’autant plus que ce n’est pas en ralentissant l’activité de la France avec des mesures d’austérité que l’argent va pouvoir rentrer dans les caisses de l’État pour rembourser ladite dette.
En outre, seules deux phrases sont consacrées à la transition énergétique et à la raréfaction des ressources. Mais encore une fois, plutôt que de proposer des réformes pertinentes comme l’interdiction de l’obsolescence programmée ou de meilleures mesures quant au recyclage, le ministère se contente d’indiquer que le secteur énergétique est un domaine clé dans lequel la France doit investir selon une logique purement économique. En gros mes amis, continuons de spéculer et hydrofracturons !
Ainsi, loin de la réalité de la situation actuelle, nous allons apparemment continuer à nous enfermer avec joie dans le même modèle archaïque basé sur le travail et la croissance. Un revenu de base ? Une réduction du temps de travail ? Une automatisation de l’activité humaine ? À quoi bon, la croissance semble tellement plus pertinente.
Ministère du redressement productif
Le scénario proposé par le ministère du redressement productif est un scénario idéalisé qui n’a pas pour contrainte d’être limité par la réalité. Dans la vision qui est proposée de 2025, la France a réussi sur tous les plans : industrie, transition énergétique, développement économique, innovation triomphante…
Le trait d’optimisme est tellement forcé qu’on croirait lire le pitch du dernier Film SF des studios Georges Lucas Disney associated. La France a rencontré le succès dans tout ce qu’elle a entrepris, Paris devient le nouveau lieu de l’innovation en Europe et même les secteurs actuellement à la traîne comme le numérique sont parvenus à rattraper leur retard. En réalité, le ministère s’appuie sur un chamboulement du marché actuel, donnant la part du lion à ceux qui sauront le mieux s’adapter. C’est précisément cette capacité d’adaptation qui est la pierre angulaire du scénario idyllique qui nous est présenté.
Le problème, on le devine, c’est qu’il n’y a aucune raison pour que la France ait une plus grande capacité d’adaptation que les autres acteurs de la mondialisation. La France n’a jamais été en avance sur l’ensemble des éléments composant une société et il n’y a aucune raison pour que cela change, surtout dans un laps de temps aussi court. C’est donc une vision parfaitement embellie qui nous est proposée, se basant sur un postulat de base qui n’a rien d’évident. En outre, c’est oublier que nous sommes actuellement en pleine politique d’austérité et que réduire les budgets n’a jamais été stimulant pour l’innovation, pour l’investissement ou pour le progrès en général.
Ministère des égalités du territoire et du logement
Le ministère des égalités du territoire et du logement est sans doute le ministère qui a proposé la meilleure copie grâce à des références concrètes et précises à la réalité actuelle et en évitant l’erreur de l’optimisme à outrance.
Dans le fond, les idées proposées sont intéressantes. Il est par exemple mis en avant la nécessité de retrouver une consommation plus locale, notamment pour l’alimentation. Revoir les critères utilisés pour calculer le PIB et cesser de tout voir au travers de ce filtre semblent être des indications pertinentes. Une volonté de ne pas « abandonner au seul marché le choix de société qui découle de la question du logement » est une autre vision appréciable que propose ce ministère, loin de ce que propose le ministère de l’économie qui veut au contraire continuer à être soumis aux marchés.
Concernant les logements, on nous promet que « insalubrité et indécence n’auront plus leur place parmi les qualificatifs attribués au logement », un refrain qui n’est pas nouveau et qui n’a malheureusement aucune raison d’être plus vérifié cette fois-ci. Il est également dommage que l’accent ne soit pas davantage mis sur les logements écologiques, sur l’aide apporté par l’État pour que les particuliers puissent se loger avec une empreinte écologique moindre.
Si ce que propose ce ministère est le projet le plus réaliste, il n’en reste pas moins qu’il n’est que l’introduction à tous les changements qui devraient être faits d’un point de vue écologique au travers de l’aménagement des territoires. Qu’en est-il des transports en commun au sein des zones urbaines ? De l’installation de parcs d’automobiles électriques disponibles librement à l’image des vélib’ ? Des technologies de création d’énergie implantées au sein même des villes ?
Pour conclure…
Au-delà de cet exercice souhaité par François Hollande pouvant être considéré comme un coup médiatique, les copies rendues par les ministères sont révélatrices de l’état d’esprit qui règne au gouvernement. Entre langue de bois vide de sens, vision naïve d’un futur utopique et réutilisation lassante d’un modèle de société d’un autre âge, ce n’est pas encore aujourd’hui que l’on va pouvoir se faire une idée de ce qui nous attend dans les dix prochaines années.
Difficile de parler d’incompétence tant l’exercice semble être dominé par la démagogie et par la volonté de présenter un semblant de cohérence sur le long terme. Pourtant, les propositions qui sont faites se résument bien souvent à une approche très sommaire de l’innovation et rares sont les propositions audacieuses. Ainsi, s’il fallait encore une preuve pour indiquer que le changement ce n’est pas maintenant, nous l’avons. Une raison de plus pour tenter de changer la société à son échelle sans attendre l’action du gouvernement, quel qu’il soit ou qu’il puisse être…
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