Grèce : l’évacuation musclée des locaux de la télévision publique par la police provoque des remous au Parlement (Alexis Martinez)
Jeudi 7 novembre au petit matin, vers 4 heures, la police grecque avait mis à exécution un décret du gouvernement en investissant les locaux de la télévision publique ERT, occupés par les anciens salariés du groupe, qui se sont organisés en autogestion pour assurer les programmes malgré la fermeture officielle depuis juin dernier. L’événement, qui avait eu lieu sur une initiative du premier ministre Antonis Samaras et de la ND, avait alors provoqué le départ de la DIMAR du gouvernement et de vives critiques de la part du PASOK, mais c’est cette fois-ci en totale concertation avec Evangelos Venizelos, président du PASOK, que l’ordre d’occuper les locaux a été donné aux policiers.
En réaction à cette décision gouvernementale, SYRIZA a initié un vote de censure du gouvernement au Parlement, qui aura lieu dimanche soir. Un acte qualifié d’« empoisonnement de la vie publique » par le premier ministre Antonis Samaras, de « coup de couteau dans le dos » par le porte-parole du gouvernement Simo Kedikoglou, d’« acte de déstabilisation du gouvernement » et « d’anomalie démocratique » par le ministre de l’intérieur Yiannis Michelakis, de « démagogie » et de « populisme outrancier » par le député (ND) Maximos Charkopoulos, et d’« irresponsable » par le vice-premier ministre Evangelos Venizelos, qui affirme qu’il « sape les efforts du gouvernement en pleine négociation difficile avec la Troïka ». La décision de fermer le service de télévision publique en juin dernier avait déjà été motivée par le soucis de répondre aux exigences de la Troïka (UE, BCE et FMI) en matière de baisse du nombre de fonctionnaires. Si le gouvernement Samaras avait alors tenté de prévenir les critiques en annonçant un « nouveau dispositif » nommé Nerit qui devait remplacer l’ERT en réduisant le nombre de licenciements effectifs dans l’audiovisuel public à moins de 1 500, ce dernier n’a jamais été mis en place. Les anciens salariés de l’ERT avaient continué à émettre depuis des locaux prêtés par le Parti Communiste Grec (KKE) avant de réinvestir leurs anciens locaux jusqu’à l’évacuation policière de jeudi.
La DIMAR, qui a récemment rompu explicitement avec la majorité ND-PASOK, était partagée entre absence du vote et abstention volontaire, mais ses députés se sont finalement mis d’accord vendredi pour prendre part au vote. De même, les deux députés du SINEEL, son allié depuis le premier novembre, ont décidé de participer et de s’abstenir volontairement. Fotis Kouvelis et Andreas Loverdos, respectivement présidents de la DIMAR et du SINEEL, ont tous deux indiqué qu’à leurs yeux cette motion de censure ne sert que les seuls intérêts de SYRIZA, Kouvelis soulignant cependant qu’elle aura au moins l’avantage de pousser le gouvernement à quitter sa posture maximaliste et manichéenne. En effet, depuis le départ de la DIMAR de la coalition gouvernementale, la ND et le PASOK ont systématiquement rejeté toutes les propositions de loi des députés DIMAR, les rejetant de fait dans l’opposition alors même que Kouvelis et l’ensemble de la DIMAR étaient partisans d’un maintien dans la majorité parlementaire. Les deux députés Nea MERA (un rapprochement entre dissidents de l’ANEL et de la ND) ont indiqué que, bien que ne soutenant pas les positions de SYRIZA, ils voteraient pour la censure du gouvernement à titre de sanction de sa politique. Une position que tiennent également les 18 députés de l’ANEL, ceux du parti néo-fasciste Aube Dorée, qui ont dénoncé la « violence gauchiste » de SYRIZA et indiqué que leur vote ne vise qu’à déstabiliser les institutions, les 12 députés communistes du KKE, dont la porte-parole Aleka Papariga (qui a dirigé le parti de 1991 à 2013) a affirmé que la démarche de SYRIZA est une « tromperie pour le peuple grec » en « créant l’illusion qu’un changement de majorité réglerait la situation », ainsi que les trois députés du club « La Société d’Abord » (rapprochement entre dissidents PASOK et dissidents DIMAR), dont le porte-parole Odysseas Voudouris a indiqué que « même si nous avons des divergences [avec SYRIZA], nous pouvons travailler ensemble ». L’unique député du Parti Démocrate-Chrétien (scission modérée de la ND) a indiqué qu’il voterait contre la censure. De son côté, Alexis Tsipras, président de SYRIZA, a affirmé que « pour briser le cercle vicieux de la dette publique, la Grèce a besoin d’un gouvernement de salut public ». SYRIZA ayant appelé à un rassemblement à 18h devant le Parlement le jour du vote, le ministre d’état Dimitris Stamatis a dénoncé « une dangereuse tentative d’intimidation des députés », propos qualifié par Tsipras de « sensationnalisme catastrophiste ».
Si les députés s’en tiennent à la discipline de leurs partis, le « oui » à la censure du gouvernement devrait donc réunir 121 voix sur 300, le « non » 155 et l’abstention 16. Toutefois, il n’est pas exclu que des députés PASOK et ND décident de s’abstenir pour protester contre la stricte discipline de vote imposée à leurs groupes depuis plus d’un an. Ils ne devraient cependant pas être en nombre suffisant pour placer le gouvernement en minorité. Le rejet prévisible de la motion de censure déposée par SYRIZA a conduit samedi le ministre de la réforme territoriale, Kyriakos Mitsotakis, à qualifier de « cadeau » au gouvernement la démarche de SYRIZA.
Finalement, la motion de censure a réunit 124 voix sur 294 présents, 153 députés votant contre et 17 s’abstenant. L’événement du vote aura été le vote pour la motion de censure de la députée PASOK Theodora Tsakri, qui a été immédiatement exclue du groupe PASOK. Après les élections de juin 2012, la majorité parlementaire comportait 179 sièges. Entre septembre et novembre 2012, la discipline stricte exigée par les groupes ND, PASOK et DIMAR avait déjà provoqué le départ ou l’exclusion de 13 membres des trois groupes : 4 ND, 6 PASOK et 3 DIMAR. Un exclu du PASOK a rejoint SYRIZA, deux ont fondé le RIKSSY qui s’est élargi en SINEEL, et deux autres ont formé avec un député DIMAR le club « La Société d’Abord », tandis qu’un député ND fondait Nea MERA en compagnie d’un député ANEL (un autre député ANEL a quitté son groupe depuis l’élection) et qu’un autre fondait le Parti Démocrate Chrétien. Les 5 autres exclus ou démissionnaires (en compagnie d’un député ANEL en rupture de ban) restent non organisés. Mais le vote le 16 novembre d’un texte sur la réforme de la fonction publique à une seule voix de majorité avait alors convaincu les états majors des groupes de ne plus sanctionner systématiquement d’exclusion les votes contre les mesures gouvernementales, sans pour autant accorder leur liberté de vote aux députés de la majorité. Le départ de la DIMAR du gouvernement en juin dernier puis son glissement progressif vers l’opposition a encore réduit cette majorité à 155 sièges seulement. Avec le vote de Theodora Tsakri, la majorité est réduite à 154 sièges sur 300 : les 127 du groupe ND, les désormais 26 du groupe PASOK, et le député du Parti Démocrate Chrétien Nikos Nikolopoulos.
Alexis Martinez
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