Charlie, le terrorisme et la guerre
Cette tribune de Clément Dousset, très intéressante par sa mise en perspective des attentats de Charlie Hebdo, ne reflète pas forcément l’analyse de l’ensemble de la rédaction du Cercle des Volontaires, en particulier la fin du paragraphe n°7. Mais les commentaires sont là pour permettre le débat avec l’auteur de cette tribune, dans le respect et la courtoisie. Ces valeurs se font rares ; elles sont d’autant plus appréciables (et appréciées).
Raphaël Berland
Lorsque nous considérons certaines époques de notre histoire, même assez récentes comme celle de la guerre d’Algérie, nous ne laissons pas d’être étonnés de ce fourvoiement quasiment unanime qui pouvait exister alors. La France antidreyfusarde de 1897, la France pétainiste de 1941, la France Algérie-française de 1956 nous paraissent autant d’incompréhensibles aberrations. La France pro-Charlie de 2015 qui envoie en audition par la police des enfants de huit ans pour apologie du terrorisme est-elle beaucoup moins étonnante à qui veut élever et élargir son regard ?
Bien sûr la liberté d’expression paraît au moins en théorie beaucoup plus assurée qu’il y a soixante ans quand on saisissait l’Humanité ou l’Express parce qu’ils affichaient des sympathies pour le FLN. Mais on voit mal aujourd’hui quelle publication pourrait être saisie pour déroger à la pensée officielle. Elles s’y conforment toutes. Ce n’est que sur internet que l’on peut ne pas voir les noms des présumés auteurs des récentes tueries suivis ou précédés des qualificatifs de « salopards », « connards », « barbares » ou simplement de celui de « terroristes » dont l’emploi pourtant est sujet à caution.
La première idée en effet aujourd’hui unanimement reçue et qui me paraît au moins discutable c’est celle que le meurtre des quatre rédacteurs de Charlie hebdo serait un acte terroriste. Il ne s’agit pas pour moi de prêter crédit à je ne sais quel complot américano-franco-sioniste même si telles vidéos, telles informations sur des suicides très inattendus sont pour le moins troublantes (1). Il s’agit de défendre d’abord l’idée simple qu’un acte terroriste possède une caractéristique fondamentale qui n’est pas ici observée.
Un acte terroriste est un acte qui vise par définition à semer la terreur dans une communauté et qui, pour cela, frappe au hasard les membres de cette communauté. L’attentat de la station Saint-Michel du 25 juillet 1995 qui a fait 8 morts et 117 blessés comme l’attentat du RER D à Port Royal le 3 décembre 1996 qui a fait 4 morts et 170 blessés sont les seuls attentats sur le sol français dans l’histoire récente à pouvoir être qualifiés de terroristes. Ils visaient à semer au moins l’inquiétude dans la population française et à faire revenir le gouvernement français sur le soutien qu’il apportait à la répression algérienne contre le GIA (Groupe islamique armé algérien). Si des attentats de forme semblable n’ont pas été observés en France depuis 1996 (je laisse de côté, les assassinats de l’Hyper-Casher dont je ne nie pas qu’on puisse les qualifier de terroristes), ils l’ont été, et avec une ampleur plus grande, en Europe chez deux nations belligérantes pendant la guerre d’Irak. À Madrid, le 11 mars 2004, faisant 191 morts et 1 858 blessés et à Londres, le 7 juillet 2005, faisant 56 morts et 700 blessés.
Un autre point montrant que l’attaque de Charlie-Hebdo n’a pas à être qualifiée d’acte terroriste c’est qu’une opération franco-américaine de nature passablement analogue n’a jamais été dans toute la presse occidentale qualifiée de ce nom. Cette opération a été menée le 1° septembre 2014 en Somalie et elle avait pour but de tuer le chef des Shebabs, Ahmed Abdi « Godane » (2). Des renseignements fournis par la France (3) avaient établi que le chef shebab et plusieurs hauts reponsables de l’organisation rebelle étaient en réunion dans un campement au sud de Mogadiscio. Missiles Hellfire et armes à guidage laser ont complètement détruit le campement et conduit à un véritable carnage des chefs shebabs et de ceux qui les entouraient. Si la lâcheté d’un massacre suffisait à qualifier une opération de terroriste, celle-là, pourtant qualifiée seulement de « militaire » dans les dépêches d’agence et les articles de presse, en méritait bien plus le nom que l’opération visant la rédaction de Charlie hebdo.
Mais si l’opération contre Charlie hebdo n’est pas un acte terroriste, qu’est-elle alors ? N’est-ce pas un attentat gravissime contre la « liberté d’expression » révélant le fanatisme redoutable parce que meurtrier d’un certain islamisme politique radical et international ? Cette question forcément mérite d’être posée mais mérite aussi une réponse raisonnée. Et cette réponse ne peut se faire que dans deux temps. Dans un premier temps, il faut bien constater que ce qui est considéré en France par un grand nombre de gens comme libre expression d’une opinion est vu au moins par une forte proportion des musulmans à travers le monde comme un inadmissible blasphème. En témoignent les manifestations qui ont eu lieu partout dans le monde musulman et souvent avec ampleur après le 9 janvier pour protester contre la une du dernier Charlie-Hebdo. Cela fait des siècles que les représentations du prophète Mahomet sont interdites dans le monde musulman. Le représenter sous forme de caricature et avec des allusions obscènes peut difficilement ne pas constituer un outrage. Maintenant cet outrage méritait-il que ses auteurs soient tués ? Certainement pas.
Mais les journalistes de Charlie-hebdo ont-ils été tués pour les caricatures qu’ils ont faites ou pour une autre raison ? Voilà la question à se poser avant de prendre position sur le caractère fanatique de l’acte. Même s’il y a eu, c’est vrai, des morts à cause d’eux, ni Salman Rushdie, ni les caricaturistes danois qui avaient créé les dessins sacrilèges reproduits par Charlie-Hebdo n’ont fait l’objet de réelles tentatives de meurtre. Si la France n’avait pas bombardé le Nord Mali et tué plus d’un millier de rebelles de l’AQMI, d’Ansar Dine et du MUJAO ou leurs proches, si elle n’était pas intervenue en Centrafrique pour soutenir les actions de l’armée contre les rebelles musulmans et favoriser des massacres, si elle n’avait pas bombardé le territoire irakien revendiqué par l’Etat islamique en faisant bien sûr d’autres victimes musulmanes, si elle n’avait pas soutenu des opérations telles que le meurtre des chefs chebabs que j’ai évoqué plus haut, les journalistes de Charlie Hebdo seraient probablement encore vivants. L’opération de la rue Appert n’est ni un attentat terroriste ni une vengeance fanatique, c’est très vraisemblablement une opération guerrière ou si l’on préfère militaire, une riposte à la politique guerrière de la France comme les attentats de 2004 et de 2005 avaient été des ripostes à la politique guerrière de l’Espagne et de la Grande Bretagne, mais une riposte de nature différente et d’ampleur très moindre.
Entre cette riposte du 7 janvier et les attentats auxquels s’attendait la France depuis décembre dernier après les menaces proférées par le porte-parole de l’Etat islamique, il faut bien convenir qu’il n’y a pas de commune mesure. Le renforcement de vigipirate partout, les mesures d’exception prises dans les aéroports, les gares et tous les lieux publics montraient bien que le gouvernement de Valls s’attendait à une catastrophe comme celle de Madrid. Qui pourrait dire qu’une telle catastrophe ne menace plus malgré toutes les précautions prises ? Qui pourrait affirmer que le vote du parlement pour décider de la poursuite de la guerre ne rend pas sa perspective plus imminente ?
Certes on entend de martiales et viriles rodomontades clamant que la France ne doit pas céder à la menace. Mais la raison ne doit-elle pas nous conduire à nous placer hors du cycle attaques/contre-attaques qui devient vite un cycle abomination/représailles atroces auxquelles conduisent toutes les guerres et particulièrement les guerres asymétriques, celles de type colonial comme par exemple la guerre d’Algérie ? Guerre d’Algérie dont l’actuel conflit mené contre des groupes se revendiquant d’un nationalisme musulman radical se rapproche dans la mesure où il s’agit d’empêcher l’indépendance de territoires jusque là inféodés -ou considérés ainsi par les rebelles- à l’occident capitaliste chrétien.
« Guerre contre le terrorisme », dit-on ? C’est absurde. La guerre se fait contre des hommes, pas contre des armes. Or le terrorisme n’est qu’une arme et, comme toute arme, elle peut être offensive ou défensive. Et depuis l’attaque contre l’Afghanistan en 2001, le terrorisme islamique qui a sévi dans les pays occidentaux a toujours été envisagé comme une riposte. Vouloir faire la guerre au terrorisme, c’est vouloir l’alimenter toujours, c’est vouloir faire la guerre pour nourrir la guerre
Mais, me dira-t-on, il y a une réelle expansion d’un islamisme politique radical qui doit être contenue. Sans doute. Mais il y a aussi une réelle révolte de populations musulmanes maintenues dans un état de pauvreté et d’oppression à la fois économique, politique et culturel, état d’oppression auquel l’islam politique radical apporte à travers ses multiples avatars une réponse révolutionnaire. Ne nous y trompons pas, l’islam politique ne se développerait pas s’il ne rencontrait pas le terreau pour cela et il n’est pas sans parenté économique et sociale à défaut d’être religieuse avec ce qui a soutenu la révolution française et plus tard la révolution bolchevique et plus tard la révolution chinoise.
Juger sa violence, certes indéniable, comme le témoignage d’une barbarie innée n’est qu’une faiblesse d’esprit. Et une injustice. On peut gloser sur les retentissants massacres commis par Boko Haram dont les effectifs sont constitués en majorité de gens qui n’ont pas deux dollars par jour pour vivre mais il faut aussi évoquer la féroce répression à laquelle il fait face au Niger (4). Là comme ailleurs on n’arrêtera pas ce mouvement de fond de reconquête d’une identité et d’une dignité révolutionnaire et violent par une violence contre-révolutionnaire et guerrière. Mais peut-être par une réflexion qui doit être celle de nos élites intellectuelles avant d’être celles de nos politiques, une réflexion qui doit rechercher avant tout à comprendre la réalité de la situation, des exploitations et des revendications. Une réflexion qui prône la diplomatie, recherche le dialogue, refuse la guerre.
« Quelle connerie la guerre ! » avait dit le poète. Charlie qui pleure s’en souvient-il encore ?
Clément Dousset
1. « Limoges : Un commissaire de police se suicide à la police judiciaire » (20minutes.fr)
2. « Somalie : le chef des shebab tué dans une attaque aérienne américaine » (LExpress.fr)
3. « Elimination du chef des shebab : Hollande a coopéré avec Washington » (LeParisien.fr)
4. « Boko Haram : la sale guerre du Nigeria » (Jeuneafrique.com)
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Article très agréable à lire et soucieux d’être le plus juste possible et modéré. Merci pour ce raisonnement intéressant
Merci pour cet article qui a un côté très soulageant, à savoir qu’il existe en France des gens intelligents vraiment. Cette expression là peut permettre l’espoir de voir (re?) fleurir unesprit constructiveemnt critique et non aligné qui puisse devenir créatif.
Il y a de fortes suspicions pour que les attentats de juillet 1995 et décembre 1996 soient du fait des services secrets algériens avec des complicités françaises dans le but, contrairement à ce que vous dites, de pousser le gouvernement français à soutenir la politique du gouvernement algérien.
http://democratisme.over-blog.com/page/2
False flag quand tu nous tiens