Condamnation de l’humoriste franco-arménien Vardan Petrosyan, un procès politique ?

Le 28 mars 2014, l’artiste franco-arménien de 56 ans Vardan Petrosyan était jugé pour avoir “entraîné la mort de deux personnes sans intention de la donner”, suite à un grave accident de la route survenu dans la nuit du 20 octobre 2013. En route pour Erevan, capitale de l’Arménie, où il était censé jouer son dernier spectacle, sa voiture percuta “un véhicule qui n’était pas autorisé à rouler et dans lequel se trouvaient six personnes […]. Le véhicule s’était trompé de sortie et effectuait une marche arrière”, selon sa belle-sœur Elisabeth Hamel.
Grièvement blessé, Petrosyan fut hospitalisé et subit suite à l’accident, une opération du foie et une ablation de la rate. Il resta trois jours dans le coma. Dès le lendemain du drame, une enquête criminelle fut ouverte à son encontre, alors qu’il se trouvait encore entre la vie et la mort. S’en suivit presque immédiatement l’injonction de sa détention préventive en hôpital pénitentiaire dans des conditions désastreuses. Il y fut transféré au mépris de sa santé, alors qu’il se trouvait encore en soins intensifs et perdait connaissance.
Selon son avocate Française Marie Dosé, l’enquête menée par les autorités arméniennes à l’encontre de Vardan n’a révélé ni excès de vitesse, ni usage d’un téléphone au volant, mais elle a par contre attesté de sa sobriété au moment des faits. Marie Dosé a longtemps exigé de savoir pourquoi précisément son client était détenu, sans obtenir de réponse adéquate. Elle a souligné l’étrange proximité entre l’avocat des victimes et le procureur, tout en rappelant que selon les mots mêmes de l’accusation, Petrosyan, en réalité, n’était pas poursuivi pour une infraction judiciaire, mais pour une prétendue faute morale.
Plaidoirie de Marie Dosé, avocate française de Vardan Petrosyan
Vardan compte parmi les cinq personnalités les plus populaires d’Arménie, et ses déclarations hors tout comme à l’intérieur de ses spectacles sont souvent corrosives à l’égard d’un pouvoir politique dont les détournements financiers s’évaluent en centaines de millions de dollars. L’indépendance des juges face à la pression des procureurs et de l’exécutif y tient de la fiction, ce qui vaut au pays d’être régulièrement épinglé par des rapports internationaux.

Par ailleurs, la situation géographique de ce petit pays frontalier de la Géorgie, de l’Azerbaïdjan, de la Turquie et de l’Iran, en fait une position géopolitique de premier plan sur l’échiquier mondial. Ce qui peut expliquer que François Hollande, en déplacement officiel à Erevan le 12 mai 2014, alors que Petrosyan, ressortissant français, était incarcéré arbitrairement depuis plus de six mois, ait fait preuve d’une certaine discrétion concernant ce dossier lors de son entretien avec son homologue Arménien Serge Sarkissian. Chargé d’y vendre l’idée d’une Arménie rattachée au marché européen, François Hollande appréhendait certainement le cas de Vardan comme une entrave diplomatique plutôt que comme une conjoncture exigeant de lui d’accomplir son devoir envers un citoyen français.
La “détention préventive” de Vardan a été prolongée durant des mois, avant que son procès ne commence enfin en mars 2014. Le 24 juin 2015, il avait entamé une grève de la faim pour protester contre les conditions de son maintien en détention depuis près de 20 mois. Le pourvoi en cassation demandé par la partie civile a été rejeté le 21 août 2015. Le 2 septembre, le tribunal de première instance a confirmé la peine infligée à Petrosyan en régime de semi-liberté. Il a donc été transféré dès le 4 septembre à la prison de Vartashen, dans laquelle il est désormais sommé de passer ses nuits et ses fins de semaine.
L’application de ce régime de semi liberté est sujet à condition. Le comédien ne peut en bénéficier qu’à condition d’obtenir un contrat de travail en Arménie. De nombreuses sociétés de spectacle lui ont immédiatement proposé des contrats, et il a effectué son premier jour de travail le 10 septembre 2015. Sur les 5 ans de sa peine, l’humoriste a déjà effectué 2 ans de prison ferme au pénitencier de Nubarashen. Il lui reste encore trois années à effectuer à Vartashen. Il doit s’y rendre tous les soirs avant 20 heures et ne peut le quitter le matin avant 8 heures.
Vardan Petrosyan est sous surveillance permanente, et le moindre écart peut le ramener à la prison ferme sans autre forme de procès. Une aubaine pour le gouvernement arménien, qui peut maintenir par ce biais la pression sur cet artiste influent, très critique et caustique envers le pouvoir en place. Le 30 septembre 2015, une commission a reporté la session de révision potentielle de la peine de Vardan au mois de décembre. La décision ne sera connue que trois mois après la réunion de cette commission. Tandis que la détention de Vardan s’éternise, la

situation politique s’électrise. En juin 2015, le peuple Arménien est sorti en grand nombre dans les rues d’Erevan pour manifester contre la hausse brutale du prix de l’électricité, assimilée à un racket. Moscou a pointé du doigt ce soulèvement pour y dénoncer les ferments d’une “révolution de couleur” anti-russe. Inter-RAO, la compagnie qui sous-traite la gestion de l’électricité en Arménie, est pilotée par Igor Setchine, proche de Poutine et manifestement ciblé par l’administration états-unienne pour cette raison. Les dix mille manifestants se défendirent d’une manipulation atlantiste de leur colère en répondant à ces soupçons par ce slogan : “ici ce n’est pas Maidan, c’est l’avenue Baghramyan” (avenue principale d’Erevan). Par ailleurs, les accointances de Sarkissian avec le pouvoir russe, critiquées par les manifestants comme par Petrosyan, n’empêchent en rien le chef d’État Arménien de négocier avec l’OTAN lorsqu’il sent le vent tourner.
Les conditions d’inculpation et de détention de notre concitoyen Vardan Petrosyan jettent un peu plus le discrédit sur les institutions d’une nation dont la corruption pousse un nombre impressionnant de ses ressortissants à l’émigration massive, notamment vers la Russie, privant ce territoire par ailleurs riche d’une histoire séculaire, des forces vives qui pourraient lui permettre de faire valoir sa souveraineté face aux velléités impériales qui la menacent, par vent d’Est comme par vent d’Ouest. C’est dans ce combat pour la souveraineté de son pays et de son peuple que s’est maintes fois engagé Vardan Petrosyan, et il est temps pour cette nation au rayonnement de laquelle il contribue de lui rende la pareille. Non pas parce qu’il est un comédien au talent indéniable, mais simplement pour qu’en Arménie comme ailleurs, l’institution de la justice fasse un pas supplémentaire en direction de la vertu dont elle s’est appropriée le nom.
Pour soutenir Vardan Petrosyan: Libérez Vardan Petrosyan
Pour un récapitulatif de l’affaire du point de vue des soutiens de Vardan: vardanpetrosyan.fr
Galil Agar
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