ArticleInternational

Condamnation de l’humoriste franco-arménien Vardan Petrosyan, un procès politique ?

Vardan Petrosyan lors de son procès pour homicide involontaire, qui s’est déroulé de mars 2014 à septembre 2015. Malgré le manque de preuves concernant sa culpabilité, il a été condamné à cinq ans de prison. Dans un état de santé déplorable suite aux blessures causées par l’accident à cause duquel il est mis en examen, l’humoriste franco-arménien a passé deux ans en détention préventive. Une aubaine pour le pouvoir arménien dont Vardan n’a de cesse de souligner la corruption manifeste au cours de ses spectacles.

Le 28 mars 2014, l’artiste franco-arménien de 56 ans Vardan Petrosyan était jugé pour avoir “entraîné la mort de deux personnes sans intention de la donner”, suite à un grave accident de la route survenu dans la nuit du 20 octobre 2013. En route pour Erevan, capitale de l’Arménie, où il était censé jouer son dernier spectacle, sa voiture percuta “un véhicule qui n’était pas autorisé à rouler et dans lequel se trouvaient six personnes […]. Le véhicule s’était trompé de sortie et effectuait une marche arrière”, selon sa belle-sœur Elisabeth Hamel.

Grièvement blessé, Petrosyan fut hospitalisé et subit suite à l’accident, une opération du foie et une ablation de la rate. Il resta trois jours dans le coma. Dès le lendemain du drame, une enquête criminelle fut ouverte à son encontre, alors qu’il se trouvait encore entre la vie et la mort. S’en suivit presque immédiatement l’injonction de sa détention préventive en hôpital pénitentiaire dans des conditions désastreuses. Il y fut transféré au mépris de sa santé, alors qu’il se trouvait encore en soins intensifs et perdait connaissance.

Selon son avocate Française Marie Dosé, l’enquête menée par les autorités arméniennes à l’encontre de Vardan n’a révélé ni excès de vitesse, ni usage d’un téléphone au volant, mais elle a par contre attesté de sa sobriété au moment des faits. Marie Dosé a longtemps exigé de savoir pourquoi précisément son client était détenu, sans obtenir de réponse adéquate. Elle a souligné l’étrange proximité entre l’avocat des victimes et le procureur, tout en rappelant que selon les mots mêmes de l’accusation, Petrosyan, en réalité, n’était pas poursuivi pour une infraction judiciaire, mais pour une prétendue faute morale.

Plaidoirie de Marie Dosé, avocate française de Vardan Petrosyan

Vardan compte parmi les cinq personnalités les plus populaires d’Arménie, et ses déclarations hors tout comme à l’intérieur de ses spectacles sont souvent corrosives à l’égard d’un pouvoir politique dont les détournements financiers s’évaluent en centaines de millions de dollars.  L’indépendance des juges face à la pression des procureurs et de l’exécutif y tient de la fiction, ce qui vaut au pays d’être régulièrement épinglé par des rapports internationaux.

François Hollande en visite à Erevan, en compagnie de son homologue arménien Serge Sarkissian, le 12 mai 2014. Le sort du citoyen franco-arménien Vardan Petrosyan a-t-il seulement été évoqué lors de cette rencontre ?

Par ailleurs, la situation géographique de ce petit pays frontalier de la Géorgie, de l’Azerbaïdjan, de la Turquie et de l’Iran, en fait une position géopolitique de premier plan sur l’échiquier mondial. Ce qui peut expliquer que François Hollande, en déplacement officiel à Erevan le 12 mai 2014, alors que Petrosyan, ressortissant français, était incarcéré arbitrairement depuis plus de six mois, ait fait preuve d’une certaine discrétion concernant ce dossier lors de son entretien avec son homologue Arménien Serge Sarkissian. Chargé d’y vendre l’idée d’une Arménie rattachée au marché européen, François Hollande appréhendait certainement le cas de Vardan comme une entrave diplomatique plutôt que comme une conjoncture exigeant de lui d’accomplir son devoir envers un citoyen français.

La “détention préventive” de Vardan a été prolongée durant des mois, avant que son procès ne commence enfin en mars 2014. Le 24 juin 2015, il avait entamé une grève de la faim pour protester contre les conditions de son maintien en détention depuis près de 20 mois. Le pourvoi en cassation demandé par la partie civile a été rejeté le 21 août 2015. Le 2 septembre, le tribunal de première instance a confirmé la peine infligée à Petrosyan en régime de semi-liberté. Il a donc été transféré dès le 4 septembre à la prison de Vartashen, dans laquelle il est désormais sommé de passer ses nuits et ses fins de semaine.

L’application de ce régime de semi liberté est sujet à condition. Le comédien ne peut en bénéficier qu’à condition d’obtenir un contrat de travail en Arménie. De nombreuses sociétés de spectacle lui ont immédiatement proposé des contrats, et il a effectué son premier jour de travail le 10 septembre 2015. Sur les 5 ans de sa peine, l’humoriste a déjà effectué 2 ans de prison ferme au pénitencier de Nubarashen. Il lui reste encore trois années à effectuer à Vartashen. Il doit s’y rendre tous les soirs avant 20 heures et ne peut le quitter le matin avant 8 heures.

Vardan Petrosyan est sous surveillance permanente, et le moindre écart peut le ramener à la prison ferme sans autre forme de procès. Une aubaine pour le gouvernement arménien, qui peut maintenir par ce biais la pression sur cet artiste influent, très critique et caustique envers le pouvoir en place. Le 30 septembre 2015, une commission a reporté la session de révision potentielle de la peine de Vardan au mois de décembre. La décision ne sera connue que trois mois après la réunion de cette commission. Tandis que la détention de Vardan s’éternise, la

NATO Secretary General, Anders Fogh Rasmussen (left) and the President of Armenia, Serzh Sargsyan (right) during the press conference following their bilateral meeting
Le secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen (à gauche) se félicite de son étroite collaboration avec le président Arménien Serge Sarkissian (à droite) en 2012 à Erevan

situation politique s’électrise. En juin 2015, le peuple Arménien est sorti en grand nombre dans les rues d’Erevan pour manifester contre la hausse brutale du prix de l’électricité, assimilée à un racket. Moscou a pointé du doigt ce soulèvement pour y dénoncer les ferments d’une “révolution de couleur” anti-russe. Inter-RAO, la compagnie qui sous-traite la gestion de l’électricité en Arménie, est pilotée par Igor Setchine, proche de Poutine et manifestement ciblé par l’administration états-unienne pour cette raison. Les dix mille manifestants se défendirent d’une manipulation atlantiste de leur colère en  répondant à ces soupçons par ce slogan : “ici ce n’est pas Maidan, c’est l’avenue Baghramyan” (avenue principale d’Erevan). Par ailleurs, les accointances de Sarkissian avec le pouvoir russe, critiquées par les manifestants comme par Petrosyan, n’empêchent en rien le chef d’État Arménien de négocier avec l’OTAN lorsqu’il sent le vent tourner.

Les conditions d’inculpation et de détention de notre concitoyen Vardan Petrosyan jettent un peu plus le discrédit sur les institutions d’une nation dont la corruption pousse un nombre impressionnant de ses ressortissants à l’émigration massive, notamment vers la Russie, privant ce territoire par ailleurs riche d’une histoire séculaire, des forces vives qui pourraient lui permettre de faire valoir sa souveraineté face aux velléités impériales qui la menacent, par vent d’Est comme par vent d’Ouest. C’est dans ce combat pour la souveraineté de son pays et de son peuple que s’est maintes fois engagé Vardan Petrosyan, et il est temps pour cette nation au rayonnement de laquelle il contribue de lui rende la pareille. Non pas parce qu’il est un comédien au talent indéniable, mais simplement pour qu’en Arménie comme ailleurs, l’institution de la justice fasse un pas supplémentaire en direction de la vertu dont elle s’est appropriée le nom.

Depuis plus de 2 ans, Ani, l’épouse de Vardan Petrosyan, fait face avec courage et détermination à cette terrible situation. Le comédien Sam Salhi, ami de la troupe de Robert Hossein avec laquelle Vardan a collaboré dans le passé, a eu l’initiative de créer une cagnotte pour permettre à ceux qui le souhaitent de leur apporter leur aide. Ceci afin de permettre à Ani de pallier aux charges des incessants voyages, aux frais d’avocats, du procès, de traductions, aux dépenses permettant à Vardan de passer dans des conditions décentes les 3 années de détention qu’il va encore devoir endurer.
Pour aider Ani, la femme de Vardan: Solidarité Vardan Petrosyan

Pour soutenir Vardan Petrosyan: Libérez Vardan Petrosyan

Pour un récapitulatif de l’affaire du point de vue des soutiens de Vardan: vardanpetrosyan.fr

Galil Agar

(591)

Une réflexion sur “Condamnation de l’humoriste franco-arménien Vardan Petrosyan, un procès politique ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Why ask?