Où le Général Sissi mène-t-il l’Egypte ? Khaled Nezzar et Sissi : les urnes des tombeaux pour les partis islamiques
Après les événements d’octobre 1988 en Algérie, dont on ignore les principaux acteurs et les réels objectifs de ce soulèvement que certains disent « populaire », le Président Chadli Bendjeddid entame en 1990 une réforme constitutionnelle qui instituera l’ouverture politique et le multipartisme. Deux années plus tard l’Algérie entre dans une décennie de « braises ». Le « printemps arabe » n’aura pas fêté son 2ème anniversaire que l’Égypte, reprenant à la lettre le mélodrame algérien, semble se diriger inexorablement vers la même tragédie sanglante.
L’armée égyptienne reprend le scénario algérien !

De gauche à droite : le général Khaled Nezzar et le Général Al-Sissi.
Le 26 décembre 1991, le Ministre de l’Intérieur et des collectivités locales Larbi Belkheir, très abattu, annonçait dans la salle Ibn Khaldoun, devant les journalistes algériens et étrangers médusés, les résultats des élections législatives pluralistes qu’a connues l’Algérie depuis l’indépendance. Ils savaient que le Parti d’Abassi Madani était vainqueur mais ignoraient l’ampleur de cette victoire. Le Front Islamique du Salut (FIS) rafle la mise. Avec 3.260.259 des voix, il obtient 188 sièges (47,4 % des voix) contre 25 pour le Front des Forces Socialistes (FFS) d’Ait Ahmed qui obtient 1.613.507 voix et 15 pour le pari historique le Front de Libération National ( FLN) avec 510.661 voix. Avec 140 ballottages favorables ce parti était assuré d’emporter la majorité absolue à l’issue du deuxième tour prévu à la mi-janvier 1992. Une nouvelle république pourrait voir le jour avec la modification de la constitution sans passer par le peuple.
Les démocrates, les laïcs et les communistes laminés par les urnes et rejetés par les électeurs haussent le ton. On crie à la fraude. « Le FIS a truqué les élections ». Un comité fantoche, créé par l’administration, appelle à l’annulation du 2ème tour. Ils vont se regrouper dans un Comité National de sauvegarde de l’Algérie (CNSA). Pour la mise sur pied de ce comité, les tenants du pouvoir chargent Abelhak Benhamouda, (1) le patron de l’Union Nationale des Travailleurs Algériens qui s’appuie, en plus des perdants, sur une fantomatique société civile sous la bienveillance de Belkaid Boubaker le signataire de l’arrêté d’agrément du FIS en septembre 1989, alors ministre de l’intérieur.
Il y a lieu de préciser que les élections étaient organisées par l’administration sous contrôle total de l’État algérien qui était persuadé que selon certains sondages, ce parti n’obtiendrait pas plus du tiers des sièges.
En dépit de la marche imposante organisée le 2 janvier par le FFS contre l’annulation du 2ème tour, les événements s’accélèrent. L’Algérie bascule, le 11 janvier 1992, dans la dérive sanglante : l’armée intervient et oblige le président Chadli Bendjeddid à la démission. Le président de l’Assemblée nationale populaire, qui devait organiser dans 45 jours des élections présidentielles, s’est tu, entérinant ainsi le coup d’État. Les blindés sont visibles près des principaux édifices publics au niveau de la capitale.
Après avoir annulé le 12 janvier le 2ème tour, le Haut conseil de sécurité (2) se réunit une deuxième fois le 14 janvier 1992. Qui l’a réuni ? Qui l’a présidé ?
Son président Bendjeddid est démissionnaire depuis le 11 janvier. Il proclame l’institution d’un Haut comité d’État (3) composé de cinq membres dont le général-major Khaled Nezzar (photo ci-contre).
Ce Haut comité sera présidé par Mohamed Boudiaf, membre des 22 ayant préparés la révolution algérienne de 1954. La légitimité révolutionnaire gouverne encore le pays.
Le lendemain, la direction provisoire désignée après l’arrestation des dirigeants de ce parti, appelle dans un communiqué « le peuple Algérien à protéger son projet et son choix » : une vaste opération nocturne d’arrestation des militants et sympathisants de cette mouvance islamique. On parle de milliers d’arrestations pour la seule nuit du 12-13 janvier. Les principaux dirigeants du FIS, Abassi Madani et Ali Belhadj, ayant été arrêtés en juin 1991. C’est Abdelkader Hachani qui a été désigné à la tête du comité exécutif du parti. Ses organes d’informations interdits (Journaux). L’Algérie s’installe dans la violence avec 200.000 morts et des milliers de disparus.
Vingt ans après, le général Sissi , Ministre de la Défense fait un “copier-coller” de ce qui s’était passé en Algérie pour l’appliquer à l’Égypte.
La tragédie algérienne avec des acteurs égyptiens
Le « printemps arabe », soigneusement préparé par des forces occultes que l’Histoire rattrapera, atterrit en Égypte un certain 25 janvier et se termine le 11 février 2011 par le transfert par H. Moubarak du pouvoir à l’armée. Le Conseil suprême des forces armées (CSFA) est chargé de mener la période de transition. Son chef le maréchal Tantawi, en qualité de commandant suprême des forces armées en devient de facto président. Très chaleureusement acclamé à la place « Tahrir » par les manifestants, qui quelques mois plus tard, y chanteront « Irahal Ya Tantawi » (dégage). Une année après, un processus de consultation populaire est enclenché pour élire à la fois le Parlement avec ses deux chambres et le président de la République.
• COLLECTIONS LÉGISLATIVES :
1- Le 11 janvier 2012 : les Égyptiens donnent 222 sièges aux frères musulmans lors du vote de l’Assemblée du Peuple (chambre des députés) sur 498. Cumulés au 122 sièges du parti Nour (la lumière), les islamistes auront 344 députés soit 67% des sièges.
2- le 11 mars 2012, les frères musulmans en obtiennent 107 avec 59% des voix sièges à l’Assemblée Choura (Chambre haute consultative). Les islamistes emportent en tout 151 sièges dont 46 pour le parti Nour sur 264 dont le tiers est désigné par le président de la République. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les médias officiels et l’opposition commencent à parler de “division du peuple” car les urnes ont trahi leurs espérances.
L’orientation générale de la nouvelle constitution est connue à l’avance car c’est une commission votée par le parlement qui aura la charge de rédiger la nouvelle constitution. Constitution qui rejettera indubitablement la laïcité.
• APPROBATION DE LA CONSTITUTION :
Le 23 décembre 2011 la constitution est adoptée par 64% des Égyptiens. Le projet de loi fondamental, rédigé par une commission dominée par les islamistes, est vivement critiqué par l’opposition qui l’accuse d’avoir porté atteinte à certains droits fondamentaux et d’ouvrir la voie à une islamisation de la législation.
Le parlement réuni désignera l’Assemblée constituante, composée à 50% des frères musulmans et 50% de personnalités publiques ou de représentants de groupes de la société civile, qui aura pour tâche unique de rédiger la nouvelle constitution. Elle sera d’une couleur verte, les députés de la mouvance islamique dominant le parlement par la volonté du peuple. Le peuple, l’ensemble des acteurs politiques, la société civile et l’armée savaient que cette assemblée serait verte et ils avaient accepté les résultats.
• ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES :
Le 24 Juin 2012 Morsi est élu avec 51,7 % des voix face à Ahmed Chafik. Il est à souligner que ce sont les premières élections libres de l’histoire du pays et que le président est choisi par le peuple pour 5 années. Après sa défaite, ce dernier se réfugie aux Émirats arabes unis pour fuir la justice égyptienne qui le poursuivra pour corruption. La contre-révolution est mise en branle et le spectre de la renaissance des réseaux du Parti national Démocratique de Moubarak déchu, est réveillé. Nous le verrons plus tard. Il est notoire que cet Émirat affiche clairement des positions de haine à l’égard des Frères musulmans.
• LA CONTRE-RÉVOLUTION ET LE RETOUR DES ANCIENS PILIERS DU RÉGIME :
Bien avant les élections présidentielles, les militaires composent avec les libéraux et les laïcs qui savent pertinemment qu’ils n’ont aucune chance de remporter ni les élections législatives, ni présidentielles et encore moins un référendum. Pour ce faire, ils mobilisent la justice qui, jusque-là engourdie telle une vieille qui retrouverait soudainement sa virginité perdue, se remet à fantasmer. Enhardie par le Conseil suprême des forces armées, la justice avec ses différentes instances multiplie les examens et accéléra les prises de décision. Contrairement à toute éthique, le président de Club des juges égyptiens Ahmed zend, déclarait au mois de juin « si nous avions su que les résultats aboutiraient à l’élection de tels députés, nous n’aurions pas accepté de les superviser ». (4)
Il est à souligner que le recrutement des magistrats favorisent la proximité du pouvoir : « les candidats doivent se soumettre d’abord à une enquête de la Sécurité d’État qui vise à écarter les candidats ayant des liens avec les frères musulmans » (5)
1- Le 14 juin 2011, un tiers des sièges de l’Assemblée du peuple est invalidé par la Haute cour constitutionnelle, ce qui entraîne la dissolution de la chambre basse du parlement. Les militaires reprennent le pouvoir législatif.
Ainsi l’assemblée constituante, minée par les divisions entre les islamistes et les libéraux, est à son tour dissoute le 10 avril 2012 par le Conseil d’État. Il est vrai que l’élection de cette assemblée n’étaient pas parfaite, mais tous les acteurs les avaient acceptées, et le résultat fut proclamé. Quelques mois après, elle est dissoute entre les deux tours des présidentielles. Le moment choisi avive certainement les tensions. C’est très dangereux. Un bras de fer triangulaire entre les frères musulmans d’une part, les militaires et les pseudos démocrates libéraux et laïcs se dessine.
Quand Morsi, par décret, renvoie la loi électorale à la cour constitutionnelle pour examen, le tribunal administratif décide le 6 mars 2013 d’annuler purement et simplement le décret en question. Les juges égyptiens deviennent plus que des potentats.
2- La haute cour constitutionnelle, saisie par la commission électorale, a également décidé d’invalider une loi, votée et approuvée par le CSFA, interdisant aux anciens piliers du régime de Moubarak de se présenter aux élections. De ce fait la candidature d’Ahmed Chafik aux présidentielles est maintenue. Dernier Premier ministre de Moubarak, il est le candidat de l’armée et de toutes les forces hostiles à la révolution égyptienne (résidu du système de Moubarak, Israël et l’Arabie Saoudite). L’ancien régime commence par lâcher ses tentacules pour mieux se réimplanter.
Comme la justice seule ne pouvait faire la sale besogne que l’armée cherchait depuis Morsi, elle a limogé sa hiérarchie au mois d’août : le maréchal et son chef d’État-major, un comité « Tamaroud » (rébellion), qui rappelle le CNSA, est né pour aviver la contestation. Soutenu par le résiduel Moubarak qui prétend être arrivé à faire sortir dans les rues 30.000.000 égyptiens le 30 juillet. Le nombre est extraordinairement exagéré, surtout au vu des photos aériennes prise par l’armée lors de la manifestation du Caire.
Le soir, entouré des dignitaires religieux musulmans et personnalités, le général Sissi, béret vissé, annonce dans une déclaration télévisée que la constitution est suspendue et que le président de la Haute cour constitutionnelle Adly Mansour est désigné président par intérim. La foule réunie à la place « Tahrir » explose de joie.
Le lendemain, Adly Mansour prête serment sur la constitution qui avait été suspendue la veille.

Le président égyptien Mohamed Morsi en compagnie du chef d’état-major de l’armée Abdel Fatah Al-Sissi.
Simple observation : juridiquement parlant Morsi est toujours le Président de la République, le général Sissi dans son allocution n’a pas annoncé les mots destitution, écartement ou limogeage.
Morsi, du statut de Président de la République, passe à celui de traître. Des dirigeants sont emprisonnés, des centaines de militants de la mouvance islamique sont arrêtés. Les moyens d’expression audiovisuels et écrits des frères musulmans sont fermés. Le gouvernement se réunit pour étudier l’éventualité de la dissolution du parti de la justice et de la Liberté, parti des Frères musulmans. La décision n’est pas encore prise.
Jusque-là, la comédie n’est pas complètement jouée par le général Sissi. Il reste un acte, celui de la dissolution du mouvement des frères musulmans.
L’Egypte serait plus ensanglantée que l’Algérie
La tragédie nationale, comme il sied au pouvoir de qualifier les tragiques événements que l’Algérie avait connus, serait moins ensanglantée qu’en Égypte si ce dernier bascule dans la violence après à la dissolution du mouvement des Frères musulmans. Après l’arrestation de ses principaux dirigeants, les militants de ce mouvement, que nul ne peut contrôler maintenant, risque de s’activer dans la clandestinité et mourir en martyr. Décapité, nul ne peut contrôler une base prête à retrouver la chahada.
Les principales raisons sont :
• Les nouvelles technologies d’informations et de communications sont plus développées et accessibles à tous via les chaines satellitaires, les téléphones portables dotés de caméra et les réseaux sociaux. La médiatisation et la désinformation à outrance augmenteront les dégâts. Durant les années 90, il n’y avait pas de téléphones mobiles, les chaines satellitaires étaient très réduites, l’Internet, avec ses différentes fenêtres sur le monde extérieur, inexistant en Algérie.
• La minorité copte pourrait, quelle que soit sa position, être maltraitée par l’un des belligérants pour accuser l’opposant.
• Sa position géographique : Israël, qui a pu en 1979 neutraliser l’armée égyptienne par le traité de paix signé par Sadate, rêve de détruire toute l’Égypte. Il n’hésitera pas à s’ingérer dans les affaires intérieures de ce pays pour aider le parti qui lui fera le plus de concessions. Si l’Égypte sombre dans la violence, les armes pourraient bien facilement transiter par le Sinaï.
• La lutte que mènent le Qatar et l’Arabie Saoudite par procuration ferait que les fonds ne manqueront pas pour l’une ou l’autre partie.
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Référence :
1- Abelhak Benhamouda : né le 12 décembre 1946 à Constantine. Il a été secrétaire général de l’Union générale des travailleurs algériens jusqu’ à son assassinat le 28 janvier 1997. A la place 1er mai en sortant de son bureau du palais des travailleurs.
2- Haut conseil de sécurité : l’article 162 de la constitution algérienne c’est un conseil consultatif placé sous la présidence du Président de la république. il « est chargé de donner au président de la république des avis sur toutes les questions relatives à la sécurité nationales »
3- La proclamation du 14 janvier 1992 ne mentionne pas le non et la qualité de la personne ayant présidé la réunion du HCS : http://www.algeria-watch.org/pdf/pdf_fr/instauration_hce_.pdf
4- Le Figaro du 22 juin 2012.
5- Nathalie Bernard Maurigon, directrice de recherche à l’institut de développement Le Figaro du 22 juin 2012.
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