Guérilla urbaine ? Ambiance familiale ? Retour sur la manifestation anti-aéroport du 22 février à Nantes
Succès entaché par les violences
De 50 000 à 60 000 personnes ont manifesté contre le projet d’Aéroport à Notre-Dame-des-Landes et 520 tracteurs étaient présents. Ce qui aurait dû être un succès pour la cause défendue a malheureusement été occulté par les violences qui ont éclaté entre forces de l’ordre et émeutiers. Les affrontements ont duré jusqu’à 20h (alors que la manifestation a pris fin à 18h). L’Adeca (association historique d’agriculteurs anti-aéroport) et les collectifs paysans COPAIN regrettent que la mobilisation paysanne n’ait pas été plus relayée. Ces derniers affirment que les pouvoirs publics ont « sciemment joué avec la sécurité de 50 000 citoyen venus manifester joyeusement en famille, en laissant se développer les affrontements, entraînant des dégâts inadmissibles et révoltants, pour servir la communication des pro-aéroports ».
Deux manifestations
Pour avoir été sur place, j’ai pu constater qu’il y avait « deux manifestations en une ». Comme l’indique les organisateurs dans leur communiqué du 23 février, « une partie du cortège est passée par l’île Beaulieu [point vert clair sur la carte]. Une autre a essayé de passer par le trajet initialement prévu et a fait face à une répression policière violente avec tir de flashball, gaz lacrymogènes et grenades assourdissantes. » (Aux barrages des CRS, points violets et roses). Il était en effet prévu depuis longtemps que la manifestation passe par le centre-ville. Or le 20 février la Préfecture a fait savoir que l’itinéraire allait être modifié, pour des raisons de sécurité et le 21 février était annoncée l’interdiction d’accéder au centre-ville. Il est fort probable que le jour de la manifestation, les organisateurs étaient déjà au courant de cette interdiction. Tout le cortège aurait donc dû suivre la voie « pacifiste » et se détourner des barrages bloquant l’accès au centre-ville comme l’a fait une partie des manifestants, calmement et dans la bonne humeur.
Sensationnalisme journalistique ?
Ensuite, au vu du traitement journalistique de la manifestation (mise en avant d’une « guérilla urbaine », on pourrait penser que manifester à Nantes ce jour là était très dangereux (bien qu’il ait été important de montrer la réalité des émeutes). Ce n’était pas le cas, car les zones « à risque » étaient distinctes des zones sûres. Les manifestants pacifiques ont donc été sur l’île Beaulieu (point vert), tandis que les émeutes ont éclaté cours des 50 otages (point violet) et au niveau de la rue Kervégan (point rose). A 16h, pendant qu’émeutiers et force de l’ordre se combattaient, les prises de parole officielles avait lieu tout à fait normalement square Daviais (point vert foncé), lieu d’arrivée prévu depuis le début. Le square est à 10 min à pied de la rue Kervégan : ce n’est pas énorme,mais un manifestant s’y rendait en tout état de cause (les bruits d’explosion et la fumée noir avertissant bien avant d’arriver sur place du danger). De plus, là à où les CRS faisaient barrage (avec canons à eau et grenades lacrymogènes notamment), les manifestants n’étaient pas pris en étau : ils pouvaient à tout moment quitter les lieux.
Il ne s’agit pas de dire que toutes les personnes présentes sur les lieux de tension étaient des radicaux qui voulaient en découdre avec la police. Beaucoup étaient des manifestants pacifiques qui voulaient faire bloc face aux CRS (comme l’explique Quentin qui a perdu un œil suite à un tir de flashball) ou qui étaient simplement curieux. Il y avait également des journalistes (comme le journaliste de RennesTV qui a été blessé par une grenade explosive, illégale dans ces circonstances, et qui porte plainte). D’ailleurs, les nombreux témoignages qui rapportent l’utilisation par les CRS de gaz lacrymogène ou flashball sur des manifestants non émeutiers amènent à s’interroger sur la gestion du conflit par les CRS : voulait-il calmer la situation ou au contraire attiser les tensions ?
La faute aux casseurs…et aux CRS qui ont laissé faire ?
Manuel Valls semble bien connaître les casseurs puisqu’il les a immédiatement identifié comme des « Black Bloc », des activistes d’ultra gauche qui ne sont pas « structurés ». Il les connaît au point de savoir que si certains sont français, d’autres sont venus de l’étranger. A noter que s’il s’agissait de groupuscules d’extrême droite on en aurait beaucoup plus entendu parler dans les médias et tout le monde s’empresserait de dénoncer l’infâme climat qui règne en France… Françoise Verchère, Conseillère Générale de Loire Atlantique, affirme ceci dans une lettre ouverte au Ministre de l’intérieur : « Samedi matin, au moment où nous étions avec les tracteurs à l’aéroport de Nantes-Atlantique, les policiers présents nous ont spontanément parlé des « blacks blocs », en nous disant « qu’ils allaient gâcher notre manifestation ». Et la Conseillère Générale de s’interroger sur le fait que ces individus n’aient pas été neutralisé plus tôt. Certains de ces casseurs sont en effet des radicaux de gauche qui n’ont rien à voir avec NDDL. On voit clairement sur cette vidéo de l’Agence Info Libre des personnes avec marteaux et burins (tiens, bien équipés pour d’innocents manifestants) déchausser la route pour balancer les pavés sur les CRS. Leurs méthodes rappellent d’ailleurs celles d’une action antifa à Rennes il y a quelques semaines. Il est donc irresponsable que les organisateurs, dans leur communiqué, ne condamnent pas fermement ces violences, par respect pour les milliers de manifestants pacifiques et surtout pour ne pas amalgamer le mouvement anti-aéroport à ces actes de vandalisme. Un tel communiqué ne peut que desservir et discréditer la cause (donnant au passage raison au gouvernement et à tous les pro aéroports). Le préfet de Loire-Atlantique lui accuse les zadistes , la zone occupée à NDDL n’étant plus visitée par la police depuis des mois (des riverains se plaignent d’ailleurs de rackets et d’agressions). Selon lui, « les organisateurs connaissaient parfaitement la préparation des zadistes qu’ils fréquentent en permanence. »
Nombre de blessés et interpellés
10 policiers et gendarmes mobiles ont été blessés et hospitalisés au CHU. 120 fonctionnaires et militaires souffrent de contusions et de blessures légères. Certains manifestants leur ont lancé des pavés, des cocktails Molotov, des cocktails à base d’acide ou autres projectiles.Côté manifestants, 20 blessés sont à déplorés. Canon à eau, grenades lacrymogènes et assourdissantes ont été officiellement utilisé pour faire barrage aux émeutiers. Comme vu précédemment, les CRS se seraient également servis d’armes plus dangereuses et illégales dans ce contexte (voir le témoignage du journaliste de RennesTV). 14 personnes ont été interpellées, 5 ont été jugées en comparution immédiate lundi, 7 seront jugées plus tard et 2 ont été libérées sans poursuites. Sur les 5 jugés, aucun n’a été considéré comme appartenant à un mouvement de gauche radicale (pour en savoir plus, article FranceInfo). En gros, le noyau dur (qui est plus proche de 100 que de 10000 personnes annoncées dans la presse) responsable des violences n’a pas été inquiétée. Étrange quand on sait que 1500 policiers étaient sur place…
Dégâts matériels
Ils rendent de nombreux nantais amers, qui savent que c’est avec leurs impôts que cela sera réparé. La mairie de Nantes porte plainte pour « dégradation de matériel public ». La Samitan (régie des transports de l’agglomération nantaise) estime qu’elle en a pour 30 0000 à dont 500 000 euros de préjudices. Plusieurs commerces ont subit des dommages.
À qui profite le crime ?
Profitant de cette manifestation chaotique, ceux qui soutiennent le projet d’aéroport se sont empressés de demander le démarrage sans délai des travaux. On sait très bien à qui tout cela profite : le gouvernement et les industriels liés au projet d’aéroport. A l’heure où les Verts sont accusés d’ambiguïté vis à vis du mouvement anti-aéroport, le PS devrait également clarifier certaines choses, en faisant preuve d’une plus grande efficacité (volonté?) à surveiller ces réseaux de gauche radicale et à les empêcher d’accomplir de tels actes de violence.
Lalo Sources : « Après la manif et les saccages à Nantes, à qui la faute ? », Jean-François MARIVAL, Ouest-France, 24/02/14 « Emeutes : cinq lampistes condamnés », Thomas HENG, Ouest-France, 25/02/14 « L’opposition à l’aéroport peut-elle s’en remettre ? », Marc LEDUC, Ouest-France, 25/02/14 « Manif anti-aéroport : dernières réactions », Ouest-France, 26/02/14 « Communiqué des organisateurs de la manifestation anti-aéroport du 22 février», ATTAC, 23/02/14 « Que s’est-il vraiment passé samedi 22 février à Nantes ? », Agence Info Libre, 23/02/14 « Nantes : un journaliste de RennesTV porte plainte contre X pour ‘violence volontaire avec arme’ », RennesTV, 25/02/14 « Nantes, 22 février, ce qui est arrivé à Quentin », Mediapart, 23/02/14 Lalo
(217)