Malthus et Ricardo : l’origine du fantasme oligarchique de la dépopulation mondiale
La chaîne Arte diffuse jusqu’à début novembre une série documentaire sur le capitalisme dont nous avions déjà évoqué les deux premiers épisodes dans un précédent article. Les épisodes 3 & 4 sont disponibles en replay jusqu’au 16 décembre 2014. Le troisième épisode est consacré à la pensée de deux économistes du 19ème siècle : Thomas Malthus et David Ricardo.
Si les premiers épisodes dénonçaient les interprétations frauduleuses de la théorie d’Adam Smith, selon lesquelles les conditions d’évolution du marché s’équilibreraient comme par magie, le troisième décrit le pessimisme morbide de la pensée de Malthus. Du début du 18ème siècle à la fin du 19ème, la population mondiale passe d’environ 600 millions à 1,7 milliard d’individus. Pour Malthus, né en 1766, cette croissance est catastrophique, du point de vue de l’expansion de l’économie libérale à l’échelle de l’humanité. Il juge en effet que la croissance continue de la population est un obstacle à l’amélioration des conditions de vie sur la Terre, prétextant que cette dernière ne contient pas assez de ressources naturelles pour subvenir aux besoins d’autant d’individus. Une théorie qui ne prend pas en compte le fait que c’est la spéculation financière sur les produits alimentaires de première nécessité qui engendre la faim dans le monde et non une surpopulation fantasmée. Seulement, il aurait été bien incommode à Malthus de prendre cette donnée en considération, dans la mesure où il se situait lui-même dans le camp des spéculateurs londoniens de son époque. Aujourd’hui encore, la spéculation sur les denrées alimentaires de première nécessité affame des millions d’individus, alors que la planète aurait les ressources suffisantes pour nourrir douze milliards d’individus, comme l’explique Jean Ziegler dans sou ouvrage Géopolitique de la faim.
Interview de Jean Ziegler
Documentaire sur la spéculation alimentaire et la spoliation des terres en Afrique
Plutôt que de provoquer une profonde interrogation sur la crédibilité du modèle industriel comme perspective unilatérale pour l’humanité, ce catastrophisme génère chez Malthus une étrange obsession : celle de réduire par tous les moyens possibles la croissance démographique. Malthus était pasteur anglican, c’est-à-dire qu’il était clerc d’une église née d’une union manifeste entre kabbale et christianisme, reconnaissant pour chef suprême la reine ou le roi d’Angleterre. Son père était un ami intime du philosophe Écossais David Hume, dont nous avons soulevé la responsabilité dans la justification racialiste de la traite négrière par le système de pensée des lumières anglo-saxonnes. En tant que pasteur, Malthus fut chargé de l’aide aux pauvres durant les périodes de mauvaises récoltes entre 1794 et 1800. C’est certainement en se fondant sur cette expérience qu’il développera plus tard l’idée selon laquelle la misère sociale n’est pas du ressort des gouvernements, mais revient à des causes « naturelles » et « inéluctables ». La responsabilité des pouvoirs publics, par contre, serait selon lui d’imposer une régulation généralisée des naissances pour éviter le développement de la pauvreté.
Les deux premiers épisodes montraient précisément comment la spéculation financière sur les terrains des paysans avait obligé les habitants des campagnes à s’exiler massivement vers les villes entre le 17ème et le 19ème siècle. Cette expropriation financière est très comparable à ce qui se passe en Chine depuis plus de quarante ans, le documentaire le démontre. Beaucoup d’hommes, de femmes et d’enfants écumèrent durant des décennies les rues des villes industrielles à la recherche d’un travail, engendrant une misère sociale telle que l’Angleterre n’en avait alors jamais connu. La situation devint si catastrophique que le gouvernement se résolut à voter des lois d’assistance aux pauvres (loi de Speenhamland, 1795) pour éviter la révolte sociale. Dans la logique de son idéologie et en contradiction manifeste avec sa fonction de pasteur, Malthus prôna l’arrêt total de l’assistance aux milliers de miséreux qui remplissaient les rues des villes.
Il fut suivi dans cette campagne contre l’aide aux pauvres par son ami, le spéculateur financier David Ricardo. Après avoir acheté un siège de pair au parlement britannique, Ricardo milita activement pour que les œuvres de charité chrétienne subvenant aux besoins des nécessiteux soient interdites en Angleterre. Selon lui, elles encourageaient les pauvres à faire des enfants et les démotivaient dans la recherche d’un travail. Des arguments que nous connaissons bien, puisqu’ils sont utilisés de nos jours pour laminer les fondations de notre système social par les nouveaux apôtres du libéralisme triomphant.
Suivant les conseils de Malthus et de Ricardo, une « nouvelle loi sur les pauvres » est votée en 1834, préconisant d’enfermer de force tous les indigents dans des « maisons de travail » (workhouses). Il est considéré qu’environ 6,5 % de la population Anglaise a un jour été enfermée dans une maison de travail. Elles ne furent abolies qu’en 1948, date à laquelle un programme d’aide sociale fut enfin créé en Angleterre. A la fin du 19ème siècle, 30% de la population âgée de plus de 70 ans y est enfermée. Les familles y étaient séparées, les personnes malades et âgées mises à l’écart. Seuls les bambins de moins de deux ans étaient autorisés à rester avec leurs mères. Des enfants furent déportés jusqu’en Australie et au Canada. L’enfermement au cachot des récalcitrants, les châtiments corporels et la privation de nourriture y étaient monnaie courante. C’est cette réduction en esclavage pure et simple de la population que le romancier Charles Dickens dépeindra de manière très édulcorée dans des romans tels qu’Oliver Twist. Dans La situation de la classe ouvrière en 1844, Friedrich Engels dénonce les disciples de Malthus et de Ricardo qui ont traité selon ses mots la pauvreté comme un crime. « Ils sont plus esclaves que les noirs d’Amérique » écrit alors Engels en parlant de ces ouvriers, « parce que plus sévèrement surveillés; et on leur demande encore de vivre, de penser et de sentir en homme… ». Difficile de ne pas penser aux conditions de vie des ouvriers d’Asie du Sud-Est ou d’ailleurs, qui fabriquent aujourd’hui nos moindres biens de consommation quotidiens.
Au début du 21ème siècle, les esclaves sont délocalisés. Le malthusianisme des élites s’est mondialisé, se parant d’ornements pseudo écologistes pour convaincre son auditoire pétri de « bonnes intentions ». Durant les dernières années de sa vie, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss a largement contribué à cette idée selon laquelle la densité de la population humaine serait la cause des maux de la Terre, sans que sa critique ne s’attaque en profondeur au système de production industrielle qui génère la destruction de la nature. Cette rhétorique est reprise par John Holdren, conseiller en chef de Barack Obama pour la science et la technologie, qui ne cache pas ses aspirations écolo-malthusiennes pour l’humanité. Le célèbre milliardaire Bill Gates a pour sa part créé avec sa femme la fondation très rentable Bill et Melinda Gates, par le biais de laquelle il finance GAVI : l’alliance mondiale pour la vaccination et l’immunisation, grâce à laquelle il entend contribuer à la diminution « nécessaire » de la population mondiale. Il partage ses convictions sur la nécessité de la réduction de la population mondiale avec ses camarades Al Gore, Ted Turner, David Rockefeller Jr, Warren Buffet, George Soros, Michael Bloomberg et Oprah Winfrey. Tous ces grands philanthropes se sont retrouvés à New-York le 5 mai 2009, pour décider d’un plan d’action commun afin de réduire la population mondiale. L’écolo-néomalthusianisme possède même son monument sur lequel est gravée sa profession de foi : les Georgia Guidestones, qui préconisent de réduire la population mondiale au nombre de 500 millions d’individus afin de parvenir à « un nouvel âge de raison ». Une idéologie validée au plus au sommet des instances internationales par les nations unies.
A l’entrée des « working houses », les travailleurs Britanniques étaient dépossédés de tous leurs biens. Il leur était signalé que même l’uniforme qu’ils avaient sur les épaules ne leur appartenait pas. Comme la Terre et le Capital le furent avant eux, c’est ainsi que le Travail et le Travailleur furent « libérés » par le capitalisme du XIXème siècle en terre d’Angleterre, par des penseurs dont l’idéal consistait dans la suppression des aides sociales de l’État aux familles les plus démunies et dans l’autonomie d’un marché définissant « par lui-même » le salaire de ses ouvriers. Ca ne vous rappelle rien ?
Galil Agar
(3408)
More from my site
Anton Wilhelm Amo, un philosophe ghanéen contre le libéralisme esclavagiste des lumières anglo-saxonnes
Cher Frédéric Lordon, bienvenue sur la liste noire de vos nouveaux amis “antifas” !
« Le Serment » : la série historique qui déplaît au CRIF
La main tendue de l’Iran aux Etats-Unis (Atlas Alternatif)
Bons baisers de Russie
Dans le Noir, toutes les couleurs s’accordent
A propos de l'auteur :
a écrit 69 articles sur ce site.
Newsletter
Laissez votre adresse e-mail pour être prévenu de nos prochaines publications
Le plan d’action évoqué dans l’article me semble être d’ores et déjà mis en oeuvre. À moins qu’il ne s’agisse d’un plan jumeau :
– Guerres et invasions barbares suivies de massacres à grande échelle dans le Grand Moyen Orient, c’est-à-dire du Maroc aux confins de l’Afghanistan et de la Chine.
– Guerres, famines, épidémies massivement létales en Afrique.
Bonjour. Il y a quelques heures encore, j’aurais moi-même été sceptique quant à l’utilisation du terme de “plan” clairement organisé et structuré. Toutefois, les termes employés par les memebres du “Project For a New American Century” (Wolfowitz, Cheney, Rumsfeld, Kristol …) semblent vous donner raison sur ce point:
«…des formes avancées de guerre biologique qui peuvent cibler des génotypes spécifiques peuvent transformer la guerre biologique d’un royaume de la terreur en un outil politiquement pratique.»
J’avoue qu’avant de lire ces lignes, je ne serais pas moi-même allé jusqu’à inclure les stratégies strictement militaires dans cette perspective contemporaine de dépopulation.
Par ailleurs,n’oublions pas que les grands théoriciens de l’eugénisme étaient les esprits les plus “civilisés” et “progressistes” de nos belles démocraties libérales. Je pense à Francis Galton (cousin de Darwin) et Herbert Spencer en Angleterre, mais aussi à Clémence Royer (traductrice de Darwin), dont des collèges et lycées français portent aujourd’hui le nom, et qui pensait que la charité chrétienne et le principe de solidarité démocratique ne pouvaient mener qu’à la dégénérescence de la race humaine. Le comte Georges Vacher de Lapouge,disait aussi dans cette même optique: « c’est la science qui nous donnera […] la religion nouvelle, la morale nouvelle, et la politique nouvelle ». D’un point de vue politique, les premiers ministres Britanniques Balfour, Chamberlain et Churchill défendirent eux aussi des points de vue très clairement eugénistes, bien avant l’avènement du troisième Reich..
A ce titre, il y aurait tout un travail historique à faire sur la stérilisation forcée: des Indiens au Canada et aux USA (Indiens et Noirs), des femmes Alsaciennes et même Allemandes par les Nazis,des ouvrières Roumaines en URSS,mais aussi plus récemment au Pérou où le président Fujimori (90-2000) a été félicité par l’OMS pour sa politique de “contrôle démographique” avant d’être accusé de crime contre l’humanité. Sans oublier le gouvernement d’Israël qui de son propre aveu, de 2000 à 2005, a contraint des milliers de femmes Ethiopiennes Juives (les Falashas) à la stérilisation en les forçant à injecter du Depo-Provera.
Ce que certains ont dit:
“La maladie ou la famine”.
Dixit Robert Mac Namara le boucher de l’Asie du Sud-Est(Vietnam-Cambodge-Laos) et Secrétaire général à la défense US. Et,plus tard, patron de la Banque Mondiale.
C’est la réponse laconique qu’il fit à un journaliste qui lui demandait ce que l’institution financière mondiale qu’il dirigeait,proposait en solution pour “l’explosion démographique”en Afrique.(1)
Un cas concret et terrifiant est cette pauvre Somalie détruite et ramené à “l’âge de pierre” par les assassins financiers en col blanc que sont les agents de la Banque Mondiale et du FMI. A ce titre, on lira avec profit l’analyse édifiante de l’économiste canadien Michel CHOSSUDOWSY et intitulée: “Comment on fabrique une famine en Somalie”.(2)
Sources: 1/ Livre de Rolande Girard intitulé “Le fruit de vos entrailles” . Éditeur : SUGER (5 août 1988).
2/”Comment on fabrique la famine en Somalie”
Mondialisation.ca, 26 juillet 2011
26 juillet 2011
Partie II – Article publié dans le Monde diplomatique d’Octobre 1988.
Par Michel CHOSSUDOWSKY.http://www.mondialisation.ca/comment-on-fabrique-la-famine-en-somalie/25739
Voir ça /atlantic-council-lofficine-de-propagande-de-lotan/
Pas mal non plus comme fantasme mondialiste
Je ne suis qu’un novice dans ces domaines sociologiques ou économique. Mais il me semble que la population est un des paramètres du problème non ?
Il me semble donc que dans un monde aux ressources naturellement limitées comme le notre, on peut agir sur plusieurs “curseurs” ; et la population en est un parmi d’autre non ?
On peut :
– répartir mieux les richesses,
– limiter les gaspillages,
– éviter les productions trop vorace,
– … et limiter le nombre de consommateurs.
Quel que soit le temps que ça prenne, les ressources non renouvelables finiront toujours par s’épuiser. Reste les renouvelables qui ne pourront alimenter qu’un nombre limité d’êtres humains sous peine de ne plus être renouvelables.
Alors pourquoi ce rejet de la notion de limitation de la population ?
Une dame a écrit: Alors pourquoi ce rejet de la notion de limitation de la population ?
Bien sûr notre planète a une fin qui viendra d’ici quelques décennies. Dumont a dit que l’on peut nourrir 12 milliards d’individus. C’est peu, et beaucoup, si on y arrive (le dilemme). Mais à quelles conditions? Réponse: que l’homme comprenne bien de quoi il s’agit. Il faut “beaucoup de raison”, beaucoup de “conscientisation”…etc… Des gouvernements éclairés??? Nous en sommes si loin. Combien de temps avons-nous??? Combien de temps nous reste-t-il?
Mais, l’homme n’en est pas encore “capable”, de voir, de comprendre, et “d’agir”. Il n’a pas encore la tête qu’il faut? Beaucoup d’éducation? Pour sûr!!! Mais combien de temps encore avant d’y arriver. Où est le seuil? Faut-il le forcer à comprendre? Non, pour sûr?
Alors limiter le nombre d’individus sur cette terre a du sens si on regarde “mille” ans à l’avance, non???
Alors, le seuil, il est “quand”, et il est de “combien”? Donc “temps” et “croissance de la population”, sont les deux grandes questions si l’on veut éviter l’éclatement de cette planète. Les petits pas que l’on fait, je pense à ce petit colibri qui faisait “sa part”… vous connaissez l’histoire. Mais ces millions de petites parts sont (seront) insuffisantes.
Je sais, mes questions sont idiotes, si elles ne sont pas intelligemment, ou mieux, posées, j’en conviens.
Bien sûr, j’ai en tête toutes ces questions de Marx, Engels, de Dickens et de tant d’autres… (tant du côté des détracteurs de l’eugénisme, que de ses partisans; tous avancent des arguments qui tiennent la route, certains plus que d’autres, d’autres moins). Mais cela ne suffit pas.
L’homme a encore le cerveau d’un “singe”, alors que certains hommes (les scientifiques) créent encore des instruments de guerres et de spoliation (glyphosate) qui mènent notre planète dans le MUR. L’homme “fin”, “rationnel”, “cultivé”, connaissant”, “éclairé”, est encore trop petit, trop seul, même si des millions d’homme le sont, le deviennent… mais oui, combien de temps encore à venir??? Comment comprendre que des hommes comme TRUMP gouvernent le monde?
Donc, la question reste posée. Quelle population dans mille ans, pour cette planète dont on connaît (à peu près, si tant est que l’on puisse prédire, projeter, inventer, imaginer?) les possibilités de survie si telles et telles “conditions” sont posées?