Livre : « À nos amis » du Comité Invisible

a-nos-amis-200Sept années se sont écoulées entre la parution du premier ouvrage écrit par le Comité Invisible, « L’insurrection qui vient », et celle du deuxième, « À  nos amis ». Le titre de ce dernier, moins provocateur que le précédent,  est peut-être une référence au tube de Dee Nasty ou encore une  invitation lancée à l’égard de ceux qui se sont sentis concernés par le premier opus, et peut-être même un adieu des auteurs à la littérature ;  ils ne nous donnaient déjà l’impression d’y pénétrer que par intermittence, visitant en habits de touriste un monde ne leur étant pas si étranger que cela. Le Comité Invisible ne semblait pas nous avoir quitté définitivement, et, sorti de son long silence en Octobre 2014, il produit un texte, plus long que le précédent, certes qualitativement amoindri par rapport à la rigueur du style employé dans L’insurrection qui vient, mais conservant néanmoins l’essence de ce qui constituait la pensée déflagrante et révolutionnaire d’alors, et de ce qui la constitue toujours aujourd’hui. La question de l’identité des auteurs, parfois aussi mystérieuse que futile, trouve rapidement sa réponse quand  ceux-ci s’expliquent sur leur absence, et sur ce qu’ils ont fait durant cette période :

« Depuis L’insurrection qui vient, nous nous sommes portés là où l’époque  s’embrasait. Nous avons lu, nous avons lutté, nous avons discuté avec  des camarades de tous pays et de toutes tendances, nous avons buté avec  eux sur les obstacles invisibles du temps. Certains d’entre nous sont morts, d’autres ont connu la prison. Nous avons persisté. Nous n’avons renoncé ni à construire des mondes ni à attaquer celui-ci. »

Entre temps, l’insurrection est donc arrivée, avec son lot de désordres. D’ailleurs pour le Comité Invisible, « ce sont ceux qui annoncent le retour à  l’ordre qui font à présent figure de bouffons ». Le livre retrace l’historique des évènements à caractère séditieux ayant eu lieu à travers le monde depuis 2007 et parfois même avant, sans toutefois en dresser une liste totalement exhaustive ; les auteurs ne se contentent pas uniquement de décrire des situations, ils les analysent. Nous serons donc tour à tour transportés des États-Unis, au cœur du mouvement Occupy, aux Indignés en Espagne, ou encore au côté des émeutiers en Grèce, avec parfois l’impression de s’immerger dans les situations décrites en direct, comme si les auteurs n’en étaient que de simples reporters. Cette fois, c’est en neuf chapitres que l’ouvrage est découpé, chacun traitant d’une thématique moins spécifique que dans L’insurrection qui vient. On trouve alors une continuité plus fluide qui nous donne parfois l’impression qu’aucun sujet en particulier n’est traité, alors que ce sont en fait tous les sujets dit sociétaux qui sont plus ou moins abordés, que ce soit en observant un problème par sa causalité, ou par ses conséquences. C’est donc une analyse plus globale de notre civilisation, du mouvement révolutionnaire dans son ensemble, qui est conduite à travers ce second livre, comme en témoignent ces propos :

« Là est la ruse. En adoptant la gestion de crise comme technique de gouvernement, le capital n’a pas simplement substitué au culte du progrès le chantage à la catastrophe, il a voulu se réserver l’intelligence stratégique du présent, la vue d’ensemble sur les opérations en cours. C’est ce qu’il importe de lui disputer. Il s’agit, en matière de stratégie, de nous redonner deux coups d’avance sur la gouvernance globale. Il n’y a pas une ‘crise’ dont il faudrait sortir, il y a une guerre qu’il nous faut gagner. »

Encore plus offensif que le premier ouvrage (voir parfois offensant pour certains), portant plus sur la stratégie cette fois que sur la philosophie du mouvement révolutionnaire, on peut aussi lire une critique détaillée de celui-ci. Si le livre est titré « A nos amis », ce n’est certainement pas par hasard, puisque l’on sait que l’on peut reconnaître un ami à sa capacité à nous dire toute les vérités, même celles qui fâchent. Des identitaires aux anarchistes, des marxistes aux fascistes, des constituants aux putschistes, personne n’est laissé-pour-compte. D’ailleurs, pour le Comité Invisible, si « ce qui nous manque, c’est une perception  partagée de la situation », on peut observer qu’ils s’efforcent de la construire, et cela à partir des diverses matrices idéologiques de théorisation de la révolution – eux-même rejettent toutefois l’idéologie, « le tort de l’idéologie est précisément de faire écran entre la pensée et le cœur » – et des actions réelles menées par la population… Avec parfois un caractère apolitique ou dépolitisé, comme s’entêtent à le scander les professionnels de la politique, pas encore préparés à renoncer à leurs emplois et aux privilèges qui y sont toujours liés. Les auteurs dénoncent enfin le statu quo, la paralysie manifeste des forces révolutionnaires en France ; ils expliquent avec rigueur les raisons de leur apathie, elle-même orchestrée par diverses stratégies du choc. On peut d’ailleurs s’apercevoir que cette citation prend tout son sens aujourd’hui :

« Maintenant qu’il n’y a plus de menace soviétique à brandir, pour  assurer la cohésion psychotique des citoyens, tout est bon pour faire en  sorte que la population se tienne prêt à se défendre, c’est-à-dire ”à défendre le système”. Entretenir un effroi sans fin pour prévenir une fin effroyable. »

Pour le Comité Invisible, « notre civilisation est déjà morte », donc ceux qui voudraient immanquablement nous faire croire à un quelconque choc des civilisations, qu’il soit simulé ou stimulé, sont au mieux, manipulés par leur propre peur, ou au pire, manipulateurs des nôtres. Car face aux événements récents, il peut sembler étrange à plus d’une personne de voir la plus grande manifestation de France présidée par certains des pires hommes que notre époque ait connu ; les citoyens-électeurs dans un état de semi-fanatisme, alignés en rangs organisés, dans l’attente de la divine providence d’un État qui saurait résorber les maux du passé par une puissance plus imposante, et prévenir ceux du futur par une confiance inconditionnelle du peuple en sa capacité à triompher de tous les dangers. Si nous sommes plus d’un à avoir des difficultés face à cet étrange tissu de demi-mensonges qui est en train d’être tissé sous nos yeux, la lecture ou la relecture de cet ouvrage pourra nous éclairer un peu plus, sur les volontés à l’œuvre dans ces diverses manipulations, sur la guerre qui est en cours, comme le revendiquent des accapareurs et des exploiteurs tels que Warren Buffet, et sur ce qui a été fait, et ce qu’il reste à faire pour répondre à cela. Pas d’appel au massacre, à la tuerie, au napalm ou au phosphore blanc, pas d’incitation à la guerre civile, quoi qu’ils ne craignent que très peu cette dernière, pour des raisons développées dans les derniers chapitres ; non, pour le Comité Invisible, ce vers quoi nous devrions nous engager peut se résumer ainsi :

« Il ne nous suffit plus de mener la petite guerre, d’attaquer par surprise, de dérober toute cible à l’adversaire. Même cette asymétrie-là a été résorbée. En matière de guerre comme de stratégie, il ne suffit pas de rattraper notre retard : il faut prendre de l’avance. Il nous faut une stratégie qui vise non l’adversaire, mais sa stratégie, qui la retourne contre elle-même. Qui fasse que plus il croit l’emporter, plus il s’achemine vers la défaite. »

Enfin, pour illustrer la fin de cet article, voici le quatrième de couverture, où les membres du Comité Invisible ont souhaité dédier ce livre…

a-nos-amis-quatrieme

Arby

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4 commentaires

  1. Eric dit :

    Ce comité invisible n’existe pas, c’est un faux créer par l’éditeur, Eric Hazan.

    • Et vous tirez cette information d’où ?

    • Arby dit :

      Coucou,
      J’y avais pensé à un moment aussi, ce serait un super coup de marketing en plus, mais bon trop d’éléments démontrent à mon avis, que c’est impossible.
      Je te conseille de te renseigner sur l’affaire de Tarnac, selon des sources qui ne sont ni plus ni moins que celles du renseignement et de la police française, on peut identifier des membres du Comité Invisible avec quasi-certitude.
      Tu trouveras leurs noms très facilement, et je te conseille de lire un peu les publications de Tiqqun par exemple, et puis aussi de lire du Eric Hazan pour voir que son style est très différent de celui du Comité Invisible, si jamais les faits fournis par l’affaire de Tarnac ne te suffisaient pas.
      Après si tu as de quoi étayer ton propos, je suis tout ouïe !

    • GregMTHZ dit :

      J’avoue qu’à la première interview que j’ai vue de l’éditeur, en l’entendant parler, il m’a semblé évident que c’était lui qui avait écrit le bouquin.

      Mais ce n’est qu’une impression, je la prends comme telle et sait m’en méfier. Si vous avez plus d’infos, je suis preneur, quoique le contenu du discours (remis dans son contexte bien sûr) m’intéresse plus que celui qui le prononce.

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