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Les deux manières de se perdre, par Benoît Bréville

À quoi servent les frontières ? D’un côté, il y a ceux qui voient dans l’immigration la source de tous nos malheurs. De l’autre, il y a ceux qui pensent que l’immigration, aussi massive fût-elle, ne pose jamais de problème. Entre ces deux dogmes extrêmes doit certainement résider quelque chose qui se rapproche de la vérité… Autrefois, seuls les ultra-libéraux demandaient l’ouverture totale des frontières (aux personnes, mais surtout aux marchandises et aux capitaux). Aujourd’hui, ils sont rejoints par une frange non négligeable de l’extrême-gauche, un peu naïve. Ainsi Benjamin Ball, l’une des figures du mouvement des Indignés en France, déclare qu’« il faut dépasser l’idée de Nation », propos que ne renierait pas David Rockefeller.

Au Cercle des Volontaires, nous ne sommes pas spécialement nationalistes. Cependant, nous entendons les arguments d’Etienne Chouard lorsque celui-ci nous explique : « Si je perds la Nation, je perds ce que Robespierre m’a donné comme outil pour résister à Monsanto ». La Nation n’est pas une fin en soit, mais à l’époque de la Mondialisation Malheureuse, la dilution de la France-Nation dans une Union-Européenne ultra-capitaliste provoque une casse sociale sans précédent. Voici un texte qui reflète très exactement le fond de notre pensée. Ce texte de Benoît Bréville est paru dans le numéro Manière de Voir actuellement en kiosque, l’excellente publication bimestrielle du Monde Diplomatique.


La rengaine se récite sans peine : nous vivons dans un village planétaire où les nouvelles technologies, le commerce, la finance, mais aussi l’information, le sport et la culture ont fait voler en éclats les barrières nationales. Mobilité, fluidité, adaptabilité, le tiercé semble paré de toutes les vertus et chaque métier peut désormais revendiquer le label « sans frontières ». Médecins, pharmaciens, reporters, électriciens, architectes, archivistes… « On ne donne pas cher des professions et associations qui oublieraient sur leur carte de visite ce “Sésame, ouvre-toi” des subventions et des sympathies. “Douanier sans frontières”, c’est pour demain (1) », ironise un intellectuel français.

Pourtant, loin du « décloisonnement » tant vanté, des séparations de toutes sortes (physiques, culturelles, symboliques…) continuent de fragmenter les sociétés. Dans les villes, les nantis se barricadent dans des gated communities, lotissements-bunkers et résidences privées où alarmes, vigiles, digicodes et caméras de surveillance veillent à leur quiétude ; ils protègent la réputation de leurs écoles grâce à une carte scolaire aux contours rigides qui enferme les jeunes des quartiers populaires dans des « zones urbaines sensibles » au découpage géométrique. Lors de ses loisirs ou sur son lieu de travail, il est rare qu’un cadre supérieur croise un ouvrier : au sein d’un même pays, l’entre-soi domine, le fossé social se creuse.

Quant aux frontières nationales, elles n’ont pas davantage disparu. Au centre de multiples conflits territoriaux, elles se sont même étendues – depuis 1991 et l’implosion de l’URSS, plus de vingt-sept mille kilomètres de frontières ont été créés dans le monde, venant s’ajouter aux deux cent vingt mille kilomètres déjà existants – et renforcées. Aux quatre coins de la planète, des dizaines de milliers de policiers et de militaires, fusil en main, empêchent le passage d’intrus. Entre l’Ouzbékistan et le Kirghizstan, l’Inde et le Bangladesh, le Botswana et le Zimbabwe, les États-Unis et le Mexique, des murs se dressent pour écarter les voisins indésirables.

Mais ils n’arrêtent pas les migrations : ils les filtrent. Minutieusement gardée, avec sa barrière haute de cinq mètres, ses mille huit cents tours de surveillance et ses vingt mille agents de sécurité, la frontière américano-mexicaine est aussi la plus souvent franchie au monde, en toute légalité, avec plus de cinquante millions de passages par an. Même le mur israélien, construit pour encercler le peuple palestinien, abrite trente et un point de passage (2). Puisqu’il est impossible d’empêcher le mouvement des hommes, faut-il lever toute entrave à la liberté de circulation ?

Soulever cette question peut conduire à découvrir d’étonnantes convergences. Soucieux de préserver un droit humain fondamental, une grande partie des altermondialistes plaident pour une « politique ouverte de l’immigration », afin d’en finir avec des contrôles jugés aussi inutiles et dangereux que coûteux et inefficaces (3). A l’opposé du spectre politique, les portevoix du néolibéralisme proposent la même réponse, mais avec d’autres arguments. Selon eux, la disparition progressive des frontières économiques, à grand renfort d’accords de libre-échange et autres unions douanières, doit s’accompagner d’une libéralisation des mouvements de population. Une telle mesure permettrait à l’économie mondiale de « s’enrichir de 39 000 milliards de dollars en vingt-cinq ans (4) », prophétise même l’économiste Ian Goldin, ancien vice-président de la Banque mondiale. C’est au même au nom du « développement des entreprises » que le patronat britannique s’est opposé au gouvernement conservateur, son allié habituel, quand celui-ci a proposé de limiter les flux migratoires (5)…

La convergence entre banquiers d’investissement et militants progressistes s’explique en partie par l’ambivalence des frontières, qui partagent les peuples et les cultures en même temps qu’elles les rassemblent et les préservent ; qui sont source de guerres, mais constituent des espaces d’échanges, de négociations, de rencontres culturelles, diplomatiques, commerciales. Menaçantes et protectrices, elles cristallisent les « deux manières de se perdre » définie par Aimé Césaire, « par ségrégation murée dans le particulier et par dilution dans l’universel (6) ».

Auteur : Benoît Bréville (article paru dans Manière de Voir)


(1) Régis Debray, Éloge des frontières, Gamillard, Paris, 2010.

(2) Michel Foucher. « Actualités et permanence des frontières », Médium, n°24-25, Paris, 2010.

(3) Attac, Pour une politique ouverte de l’immigration, Syllepses, Paris, 2009.

(4) Ian Goldin, Geoffrey Cameron et Meera Balarajan, Exceptional People : How Migration, Shaped Our World and Will Define Our Future, Princeton University Press, 2011.

(5) « Immigration : les patrons britanniques mécontents », les Echos, Paris, 29 septembre 2010.

(6) Lettre d’Aimé Césaire à Maurice Thorez, 24 octobre 1956. Publiée dans Black Revolution, Demopolis, Paris, 2010.

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Raphaël "JahRaph" Berland

Je suis Webmaster depuis 1998, et producteur de musique reggae (Black Marianne Riddim). Je suis un grand curieux, je m’intéresse à beaucoup de sujets (politique, géopolitique, histoire des religions, origines de nos civilisations, …), ce qui m’amène à être plutôt inquiet vis-à-vis du Choc des Civilisations que nos dirigeants tentent de nous imposer.

Une réflexion sur “Les deux manières de se perdre, par Benoît Bréville

  • L’immigrationisme, contrairement aux autres idéologies collatérales, a été porté par les mouvements soit disant contestataires ou révolutionnaires, sous la forme d’associations antiracistes ou de partis antifascistes. Si nous pouvons évidemment établir un lien entre le travail salarié, forme subtile d’exploitation, et l’esclavage, dans sa brutalité primitive, de même nous pouvons assimiler l’immigration économique à une forme évoluée de la déportation. La modernité de ces deux formes de destruction de l’humain (travail salarié et immigration) se caractérise par l’acceptation, et même la revendication de sa condition par l’individu.
    Ainsi, la déportation économique de toute une population immigrée est soutenue par les prétendus opposants au capitalisme, au nom du droit à la libre circulation !
    Soutient-on-le droit à la mobilité des déportés ou des réfugiés des dernières guerres ?
    De même il est impossible (et pas souhaitable) de stopper les flux migratoires par des contrôles policiers à une époque où les déplacements sont supersoniques, les frontières arbitraires, et les niveaux de vie incroyablement disproportionnés, de même il est inenvisageable de ne pas accueillir dignement les déportés économiques qui échouent sur nos plages ou dans nos aéroports. La seule solution est alors de rétablir des rapports d’équité avec les pays à l’économie soi-disant sous développée, de façon à ce que la population indigène ait un avenir (et un présent) sur son territoire, et que les étrangers qui viennent sur notre sol y viennent par choix, et non par désespoir. Ceci nous permettra de les accueillir dans la joie et le respect qu’ils méritent, et leur évitera d’être perçus comme des clandestins. Rétablir des rapports d’équité (et non d’égalité) entre pays, cela sous entend décoloniser effectivement, dans les têtes comme dans les actions, cela suppose un effort conscient du colon comme du colonisé. La première des mesures à prendre serait évidemment d’annuler les dettes odieuses et illégitimes. Puis passer des accords avec les représentants des populations pour leur rendre la maîtrise de leurs richesses minières, agricoles et industrielles. Cela suppose la fin du droit d’ingérence, ce nouvel habillage de l’impérialisme. Cela suppose aussi que les peuples se débarrassent de leurs potentats locaux, ce qui sera facilité du fait qu’ils ne seront plus soutenus par les puissances coloniales.

    En confondant la défense légitime des populations victimes de cette immigration-déportation, et le droit à la libre circulation des êtres humains, en niant la souffrance des populations autochtones, en diabolisant l’expression de cette souffrance en l’assimilant à du racisme, les organisations dites de gauche ont jeté ces populations dans les bras des partis dits de droite. Partis qu’elles ont longtemps réussi à ostraciser.

    La politique migratoire, après avoir été un esclavage qui ne dit pas son nom, une déportation ethnique d’origine économique, pour le plus grand profit du capital rayonnant, révèle son vrai visage en délaissant toute cette population devenue inutile dans un système prédateur. Désormais, les capitalistes trouvent plus facile et rentable d’exporter leurs industries dans les pays à bas coût de main d’œuvre. Ainsi, après avoir mis en concurrence les populations du sud et du nord, après avoir endetté artificiellement les pays du tiers monde, réduit en esclavage les populations par le biais de cette dette inique, le capital s’expatrie et exploite sans vergogne une innombrable main d’œuvre mise à sa disposition sans protection sociale, mise en esclavage par une oligarchie locale corrompue jusqu’à la moelle, tout en revendant les marchandises finies à un occident décadent, en voie de paupérisation accélérée, mais malgré tout suffisamment riche pour se presser dans les grandes surfaces et acheter les saloperies fabriquées dans ces lointaines contrées.
    Ce double mouvement de bascule (apport de population dans les pays développés, puis délocalisation des industries dans les pays sous développés) répond de la même logique mercantile et doit être dénoncé en tant que tel. C’est sur ce mépris des populations que se bâtissent les fortunes, sur la douleur de l’exil (l’immigré), ses difficultés d’insertion dans un monde où personne n’a songé à l’accueillir, et les difficultés de l’indigène mis en compétition avec un sous- prolétariat importé, que s’est développé pendant les trente glorieuses la phase un du mondialisme. La phase deux, que nous vivons actuellement, n’en est que la continuité : l’hypertrophie des capitaux se déplaçant à la vitesse de la lumière et la mise en concurrence mondiale des travailleurs déclenchent catastrophes sociales sur catastrophes écologiques, tétanisant les populations pour l’instant désarmées. Cette tenaille, dans laquelle se trouve broyées les populations les plus fragiles, n’a pas été appréhendée par les organisations gauchistes et droit de l’hommiste, qui n’ont voulu voir que la tragédie de l’immigré, tout en dédaignant le drame de l’ouvrier indigène. C’est sur ce refus d’envisager le problème dans sa globalité que se sont développés des partis dits d’extrême droite, ce qui n’a eu pour effet que d’opposer les populations au lieu de les unir dans un combat commun contre leur ennemi commun, le capital mondialisé. La paupérisation de notre société est programmée, et elle s’accompagne nécessairement d’une destruction des repères, des solidarités, des cultures, en un mot d’une déshumanisation.
    Mais les délocalisations industrielles ont un effet pervers inattendu. En condamnant les populations, quelles soient d’origines étrangères ou pas, à un chômage de masse, le capitalisme mondialisé découvre sa fiole de rat, et encourage l’unité de ces populations dans une lutte, qui, après tout, pourrait s’avérer finale !
    L’idéologie du métissage, qu’il soit culturel, sociologique ou racial, arrive en support à la phase deux du mondialisme. Il devient une valeur en soit, prônée par les ligues et associations droit de l’hommiste, qui remplisse ici leur rôle d’idiot utile. On nous propose un pot pourri culturel, une bouillie intellectuelle à savourer comme finalité de l’humanité.
    Ainsi, se promener à Hong-Kong ne se distingue pas d’une balade à Dubaï ou à New-York ; les architectures y sont les mêmes. Les architectes, interchangeables, aussi.
    Sur les publicités de nos cités sans âme, les marionnettes sont uniformément café au lait, ce qui semble être la panacée, comme si le noir ou le blanc étaient les couleurs de l’ancien monde.
    La musique (world music) réussit l’exploit d’être à la fois informe et uniforme.
    L’anglais se banalise dans un patois international, se substituant à la saveur des langues locales.
    Il est impossible de déceler l’origine géographique, ethnique, culturelle d’un artiste plasticien.
    Le monde merveilleux de l’humain sans origine, sans culture et sans racine, citoyen du monde (mais d’un monde aseptisé), est en marche. La destruction des coutumes locales (que ce soit par un abandon de ces coutumes, ou par une marchandisation spectaculaire d’un folklore figé et privé de tout sens), l’uniformisation des modes de vie, la dénonciation des particularismes, font partie intégrale du projet mondialiste.
    La résistance à cette déculturation est dénoncée comme du chauvinisme ringard, sauf quand il s’agit des populations indiennes d’Amazonie, puisque ces populations ont déjà été décimées et ne représentent plus un obstacle à l’expansion de la marchandisation démocratique universelle.
    L’idéologie mondialiste, dans sa genèse, s’est (habilement) présentée sous la forme de l’idéologie communiste, prenant le nom d’internationalisme. Elle était porteuse d’espoir pour l’humanité, bien que nourrissant en son sein le poison de l’universalisme dictatorial. La lutte des classes se soldant momentanément par la défaite des prolétaires, la classe dominante a compris tout le bénéfice qu’elle pouvait tirer de cette idéologie en la mettant effectivement en œuvre sur la base de la libération des échanges et du capital débridé.

    Le mondialisme, et son pendant l’alter mondialisme, s’est imposé comme une évidence. Le mondialisme est pourtant la négation de tout système réellement démocratique. La démocratie, pour être effective, doit être au plus proche de ses acteurs, les « citoyens ». Plus les institutions seront éloignées, géographiquement, plus les élus (quelle que soit ce mode d’élection, bulletin de vote ou tirage au sort) représenteront un grand nombre de citoyens, plus la démocratie s’éloigne (mécaniquement) de son idéal. La véritable démocratie est forcément locale.
    Déterminer quel est le juste niveau qu’il ne faut pas dépasser pour qu’une société puisse se dire démocratique, savoir si la nation, ou la région, sont des limites infranchissables est un débat auquel nous ne pourrons pas échapper.
    Une chose est sure, c’est qu’au niveau mondial, un gouvernement ne peut être que dictatorial. Les structures internationales qui tentent de se mettre en place rêvent de détruire le peu de souveraineté qu’il nous reste en démolissant les états nations. Bien que terriblement imparfaits, ces états nations représentent l’ultime rempart contre l’hégémonie des empires en construction (Europe), ou en voie d’hypertrophie (USA). Ces structures telles que l’ONU, la Banque Mondiale, le FMI etc., ne cherchent même pas une caution populaire, elles se justifient en arguant du fait qu’elles ont été désignées, dans le meilleur des cas, par des gouvernements élus, ce qui permet tous les systèmes d’influence, de corruption. Elles n’ont que faire des peuples, elles sont manipulées par des lobbies ouvertement arrogants, affichant leur puissance au nez du pauvre peuple ébahit devant tant de « chutzpah ».
    L’Union Européenne semble être une caricature de cette construction mondialiste. Tout en affichant les intentions les plus pures, les rouages du pouvoir y sont ouvertement anti-démocratiques. De plus, quand par malheur les gouvernements archaïques sont, du fait de leur constitution, obligés de consulter leur population, et que celle-ci, dans un reflexe de survie, une réaction de lucidité, se prononce à l’encontre de la volonté des élites, alors on n’hésite pas à faire revoter, ou même à court circuiter le référendum en passant par le vote des députés/sénateurs.
    Ce genre de forfaiture ne semble gêner que peu de monde.
    Texte en cours de rédaction, à suivre…
    Disponble sur :
    http://democratisme.over-blog.com/article-immigrationisme-mondialisme-117124743.html

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